Guy Allix, Possibles n° 40, janvier 2019

Guy Allix
Le contemporain de ce numéro de janvier 2019

Entretien avec Marie-Josée Christien

Marie-Josée Christien : Quelle est la place de l’émotion dans ta poésie ? La poésie n’a-t-elle pas à voir avec le sens également ?
L’émotion est indissociable de ce que je considère comme la vraie poésie opposée à la poésie de laboratoire. Je fais souvent référence quand on aborde cette question à l’étude de Jean Cohen Structures du langage poétique, G.-F., 1964. Fonctionnant principalement sur la notion d’écart par rapport au langage établi, Jean Cohen tentait de montrer comment cet écart semblait de plus en plus important depuis le XVIe siècle jusqu’à l’époque moderne. Et dans une conclusion peut-être un peu osée, il affirmait qu’ainsi la poésie s’approchait de plus en plus de son essence qui était, selon lui, le langage de l’émotion. Là encore je cite de mémoire car je n’ai pas le livre sous la main. Cela tombait en pleine querelle Barthes-Picart et juste au moment où se faisaient jour des essais d’écriture très formalistes. Cohen a été très critiqué pour cette conclusion… Et pourtant ! Il faut aussi admettre que l’on peut bien trouver dans certains essais d’écriture contemporaine des écarts très volontaires et ce jusqu’à la plus complète agrammaticalité et que cela n’a plus rien à voir alors avec l’émotion sauf à la mimer. Et mimer l’émotion n’est pas émotion mais imposture.
Mais je dois aussi aller plus loin dans ma réponse puisque tu m’interroges sur le sens… Bien sûr que la poésie a à voir avec le sens, comme toute activité artistique et même comme toute activité humaine finalement. Et peut-être même comme toute activité vue et interrogée par l’Homme. Et là de plus nous utilisons des mots et donc du sens. Il n’y a pas pour moi contradiction entre émotion et sens. Qu’est-ce que l’émotion ? Fondamentalement, étymologiquement, c’est ce qui nous met en mouvement (et ce mouvement peut aller jusqu’à « l’émeute », mot lié lui-même à mouvement). Le Robert définit l’émotion comme « un état de conscience complexe ». Être ému (l’é-mot-ion) au sens fort ce n’est pas quitter le sens mais accéder au contraire à un sens indicible encore et se mettre en mot, en fouille, jusqu’à ce poème qu’il faudra ensuite lire « littéralement et dans tous les sens » (Rimbaud). Simplement le sens (multiple en fait ou réseau de sens) n’est pas préétabli ou encore construit comme il le serait en philosophie par exemple. Il est mis à jour par excavation. Oui, je dirais qu’il est excavé après un travail de fouille singulier sur les mots qui n’a que très peu à voir avec le travail conceptuel qui peut cependant l’interroger à son tour. Philosophes et scientifiques ne s’en sont pas privés et ils ont eu raison.

Guy Allix, in Chiendents n° 126, éd. du Petit Véhicule, mars 2018


Lucien Noullez, préface à Le Sang le soir

Cette voix porte dans ses cordes et dans son timbre un immense labeur de lecture, d’écriture, de rencontres et d’engagements. Ce labeur s’efface évidemment dans son œuvre de poète. Un travail abouti ne pèse jamais, mais il donne à son auteur la simplicité matoise des veilleurs. Le vers de Guy Allix ne dort jamais. Il traque le bonheur, même si cet affût reste improbable. Il cherche la paix, même si cette poursuite décourageante le met en rage.

Lucien Noullez, préface [extrait] à Le Sang le soir, L’Athanor, 2015, prix François Coppée 2016 de l’Académie française

Découverte : Christine Preti, Le train de la vie —>

Guy Allix est en 1953 à Douai dans le nord de la France. Poète, auteur jeunesse et critique, il a d’abord exercé différents métiers : manutentionnaire, aide-soignant, garçon de course, surveillant de lycée. En Basse Normandie, de 1975 à 2015, il fut professeur de collège et de lycée, enseigna à l’IUFM de Caen et à l’IUT de Lisieux. Il réside actuellement à Rouen. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages parus aux éditions Rougerie et au nouvel Athanor, entre autres, Guy allix est présent dans Le Sang des poètes de Jean Bernard (Odile Jacob), Anthologie de la poésie mystique contemporaine de Jean-Luc Maxence (Presses de la renaissance), Appel aux riverains (anthologie 1953-2013) de Christophe Dauphin (Les Hommes sans Epaules). La revue Spered Gouez / l’esprit sauvage lui a consacré son dossier central du n°16 en 2010. Il donne des récitals de poésie seul ou avec des musiciens. Il a consacré une maîtrise et un DEA au poète Jean Follain. Son site est à cette adresse. Quelques titres jeunesse : Le Petit Peintre et la vague, illustrations de Martine Delerm (Beluga-Coop Breizh éditions, 2014), Poèmes pour Robinson, illustrations d’Alberto Cuadros (Soc & Foc, 2015), Les couleurs du Petit Peintre, illustrations de Pointilleuse (Beluga-Coop Breizh, 2018).

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