- Menu Possibles, nouvelle série n° 47, août 2019
- Sommaire de ce n° 47, nouvelle série, août 2019
- Contemporain : Michel Baglin, L’alcool des vents
- Michel Baglin, Embruns de femme [2 extraits]
- Michel Baglin, Notre planète, inédit de février
- Jeanne Orient, Hommage à Michel Baglin, 14 juillet
- Découverte : Yasmina Hasnaoui, Cargo blues
- Hier : Sylvaine Arabo, Marines résiliences
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Joëlle Pétillot
La page “invitation ” de Possibles, n° 47, août 2019
L’éternité n’aboie plus, elle danse
Joëlle Pétillot, Le Bal des choses immobiles
Vienne la nuit
Vienne la nuit et l’être qui tremble au milieu, s’il nous ressemble, doit lutter. Morbide volupté que le sommeil du monde, à ne pas y plonger, à relever du vertical, à piétiner les paupières closes avec un relief inquiétant.
Vienne la nuit et je répète ma mort, vienne la nuit et d’autres me manquent, vienne la nuit et j’ai peur du néant, vienne la nuit et je n’aurai pas assez d’elle pour haïr, ou aimer trop.
Vienne la nuit et quelqu’un entre dans ma peau avec les dents. Ce serpent nourri de mes lambeaux hurle avec ma voix ; l’enfant que je reste appelle dans le noir quelqu’un qui ne vient pas, jamais.
Vienne la nuit et le vent bascule, audible de ma maison fermée où les verrous ne protègent pas des monstres. Mon cerveau coasse et rampe parce qu’en dépit des lumières, l’obscurité veille et absorbe.
Le sang de la nuit bat à mes oreilles, se répand sur le sol, encombre l’âme avec une joie mauvaise, va gratter, fouiner, creuser pour faire remonter toutes les boues cachées dans le paraître du jour. Ainsi ne serait-on jamais. L’humain-humus, de jour, paraît. Ne pas rater les coutures de l’habit lumineux. Bien rentrer dedans ce qui ronge : le verdâtre, la saumure.
Ainsi va le sang de la nuit, qui coule et pue.
Vienne la nuit et les ennemis se dressent, où que l’on soit. Le plus grand voyageur, le pire des déracinés, l’être qui danse, le nomade, trimballe toujours le pire des ancrages : lui-même. Toujours, la nuit détricote le paradis au rasoir. Avec ce bruit à l’intérieur, crissant murmure d’une page qu’on déchire.
Vienne la nuit et le miroir est difformant. Surtout, faire mieux que ne pas se regarder dedans : ne pas s’y voir.
Joëlle Pétillot, Le Bal des choses immobiles, © éditions Alcyone, 2019
Joëlle Pétillot est née en 1956. Elle vient de publier, après trois volumes de prose, Le Bal des choses immobiles, aux éditions Alcyone. — « Votre parole est à l’épreuve de toute emprise de lecture. Elle ne se livre pas mais s’infuse, gagne de proche en proche en amont du regard. On croit la situer mieux, la voilà qui s’infléchit, s’esquive pour un autre étonnant partage, s’engaînant, s’enrobant, se voilant... Tour à tour lisse, frémissante, naturelle, inventive, toujours singulière, toujours musicale dans ses choix et agencements, dont les métriques, elle va combler ici l’attente suscitée par son charme ; un peu plus loin ou parfois juste après, une inquiétude contagieuse en surgit, que va dissiper un coup de douceur longue fichée comme une écharde intime » écrit Clément G. Second pour la revue Lichen à propos du recueil ci-dessus.