Michel Baglin [1950-2019], Possibles n° 47, août 2019

Michel Baglin, in memoriam
Le contemporain [mort le 8 juillet 2019] de ce numéro d’août 2019

Embruns de femme [2 extraits]

Je t’écris de loin (mais on écrit toujours de loin) des mots qui voudraient te cristalliser un instant dans l’espace incertain.
Je t’écris d’hier (car on écrit toujours d’un autre temps) pour essayer de discerner une danse dans ta fuite en avant et la chorégraphie de tes talons aiguilles.
Tu es certainement très semblable et terriblement singulière.
Bien sûr, tu n’as pas plus de forme que la mer, pas plus de voix que la musique, pas plus d’odeur que le vent.
Alors je te dessine à l’image de cette vague que l’on écoute déferler en soi son existence durant.

***

Sois la passante, le reflet sur la cornée de l’homme qui marche.
Sois l’hirondelle dont on ne peut suivre le vol, la seconde qu’on ne peut caresser.
Sois un sillage. L’écume à la poupe des bateaux qui s’éloignent. Rien qu’un parfum, rien qu’un embrun de femme.
Ne laisse pas ton corps se dessiner trop longtemps dans l’œil des convoitises. Ne le pose dans aucun regard de vitrine. Qu’il se joue de ses formes comme un feu dans les yeux du désir. Qu’il danse déjà par le souvenir.
Passe, tu es pour un instant le sourire de la rue. Passe en mirage sur un décor trop connu. Passe en douceur, passe en fraude. Maraude entre les cœurs surpris qu’on les éveille.
Sois la rôdeuse qui devient la merveille. L’entraperçue qu’on n’en finit plus d’évoquer. Toute amante est passante en secret. Fuis pour mieux demeurer. Commence par être un regret.

Michel Baglin, De chair et de mots, Le Castor Astral, 2012


Michel Baglin, Notre planète, inédit —>

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