#, in Possibles, n° 49, octobre 2019

Colette Klein, C’est la terre qui marche sous mes pas
La page “invitation ” de Possibles, n° 49, octobre 2019

Quatre extraits du volume

C’est la terre qui marche sous mes pas et qui frémit de tout son corps, qui mesure le temps qui me sépare de la forêt, puis de la mort.
Mes lèvres tremblent au premier contact avec la lumière, fait bouger le chemin qui s’effrite et qui roule, grain à grain, sous les hautes herbes.
Le vide, échoué, recueille tes plaintes et les répète en écho,
tandis que j’avance à ta rencontre, sans jamais parvenir jusqu’à toi,
les poings serrés contre mes yeux.

*

C’est la terre qui, tout à la fois, te nourrit et te mange, qui me sépare de toi, sans que je sache de quel côté sont les vivants, tant elle est habitée d’insectes, d’escargots, de racines, de graines prêtes à germer…
Qu’ils sont nombreux ceux qui t’escortent !
Je les entends chanter,
tandis que ma voix solitaire reste enfermée dans mon ventre,
tandis que je m’incline sur ton marbre, bien trop noir
pour rendre la clarté.

*

Il neige des fleurs sur le boulevard. Pupilles d’arbre vertes et jaunes, qui ouvrent sous les pas des fleuves de lumière. Ou peut-être que ce sont des âmes qui voltigent. Et je te cherche d’entre les morts. Ne suis-je pas moi-même en train de tomber à tes côtés ? Libre enfin, dans le crescendo d’une voix qui lève avec elle les étamines des souvenirs que nous avions crus oubliés.

*

Pour son anniversaire, le 22 août 2016

Colette Klein

Ce que je murmure, tu ne peux l’entendre,
sinon avec la prière à peine audible des oiseaux
assemblés sur le rivage obscur.

L’île que j’abrite
fait semblant de dériver vers toi,
mais tu loges dans une barque désormais invisible.

Ce que je crie, tu ne peux t’y soumettre.
La vitre qui nous sépare
a été dressée tout au fond de la mer
alors que le silence avait pris possession du désir.

Colette Klein, C’est la terre qui marche sous mes pas, La Feuille de thé, 2019, 120 pages, 20 €

Second entretien P. Perrin par Jeanne Orient
vidéo du 18 septembre 2019 [43,34 mn]
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Colette Klein, C’est la terre qui marche sous mes pas, La Feuille de thé, 2019, 120 pages, 20 €. C’est un beau recueil-requiem sans rien de mortifère, au contraire. « L’invisible tout à la fois, nous renie et nous sépare. » Tout un faisceau de notations, qui se succèdent en grâce, forme un ensemble de grande qualité : « Je crois que je marche, c’est seulement / que je tremble. » Entre puissance et délicatesse, comment ne pas adorer ces deux versets si beaux parmi tant d’autres : « De la main, elle relève les mots qui tombent de sa bouche, les aligne sur la table. / Elle ne sait plus depuis combien d’années elle use la lumière à chercher une issue. » Comme le titre invite à le penser, Colette Klein sait baisser la tête pour mieux entendre le mystère, les paroles que notre époque réprouve, au risque de ne rien approfondir ni semer le grain de folie qui permet de vivre jusqu’au bout de soi. — Pierre Perrin, septembre 2019

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