Patricia Suescum in Possibles n° 49, octobre 2019

Patricia Suescum, Journal inédit
La “découverte” de Possibles, n° 49, octobre 2019

À mi-chemin

Patricia SuescumFallait-il que je sombre pour entrevoir une telle clarté ? Je n’ai plus peur et je laisse entrer en moi cet humain que j’ai fui si souvent. Me voilà réconciliée avec mon semblable, non pas dans sa grandeur, mais dans sa faculté à rompre les silences de l’angoisse, dans son désir d’avouer ses faiblesses, dans son regain de clairvoyance, dans le don de sa fragilité et dans sa vérité féroce. L’immense tristesse devient la mienne et je comprends l’amour dans sa nudité.
Je rends grâce à l’onction généreuse et désintéressée, aux mains m’arrachant de la chute, à l’écho du dessous que j’entends à présent, dans l’arrêt salvateur de mes agitations.
Et je sens la vibration d’un monde et toute sa douleur comme un apaisement, car je sais maintenant, d’où me viennent ces cicatrices.
Plus morte que vivante mais plus jamais seule.

Patricia Suescum, Journal, 19 décembre 2016

Je peux conjuguer la beauté

Je peux conjuguer la beauté, la percevoir, la fendre en deux pour en goûter le suc, je ne retiens que ma repentance, l’imposture de ma position, le témoignage de ma race. Je compte par siècles, la désolation et l’horreur que je disperse année après année dans l’ambiguïté de ma naissance.
Je peux fixer mon regard sur l’aile d’un oiseau, sur la fleur, sur l’innocence et mon désir est grand de prendre ma part, de m’octroyer le droit d’appartenance. Je ne trompe que moi-même et mon frère dont la naïveté me rassure.
Et les penseurs ouvrent une brèche, de quoi noyer ma vraie nature et je sais la douleur de respirer en sursis et la pente me menant dans les tréfonds.
Le libre-arbitre m’a jadis donné le droit de choisir ; de ma grandeur, j’ai fait mon crime.
Je suis humaine, je célèbre dans le sang ce qui me dépasse, ce que je ne peux garantir et je broie inlassablement la voix de ma conscience ; ce qui me reste de divin.
Changer est mon plus beau mensonge, ma chimère et mon étoile.

Patricia Suescum, Journal, 18 mars 2017

Il n’y a de mystère

Il n’y a de mystère que dans l’illusion subjective façonnée par son double. Combien de perches lancées en terrain ennemi ? Combien d’insupportables revers ? Tandis que la fanfare rend distraite l’oreille, la symphonie secrète oublie sa partition. L’homme est seul et ne veut pas l’être. Nous ne formons qu’un et nous le refusons. Le paradoxe agace, irrite la conscience. Et tout autour de nous renvoie l’ambivalence, l’unité et le détail. De vouloir maîtriser la forme, nous détruisons le socle, et le fond s’éparpille en échos disgracieux. L’arbre n’entend pas les discours inutiles ; dorment dans ses bras, le chat et l’oiseau et l’instinct primitif, au grand désarroi des hommes, perdus sous les racines.
Le printemps revient, et la vie, féroce. Et nous comptons nos jours, soucieux de nous-mêmes. Sans comprendre l’échelle, ridicule, de peu d’importance face à l’univers.

Patricia Suescum, Journal, 10 mai 2017

Hier : Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé —>

Patricia Suescum vient de faire paraître un bel opuscule. Dix-sept approches et autres questionnements de son monde intérieur mettent en perce « la conscience du choix ». Ce que Patricia Suescum extrait de ses profondeurs est magnifique. Que chacun juge à l’aune de la première page : « Une épreuve, toujours. La difficulté d’apprendre, une incompréhension relative. Mais le désir, l’obligation de maîtriser l’art du sentiment et l’émotion produite. / Le séisme, le recul, l’affrontement nécessaire. La force qu’il faut déployer pour vivre. Les conséquences de nos actes, de nos paroles, sans l’opportunité d’en exprimer les causes. L’immédiateté fabrique des mercenaires, des automates, des copies conformes ou l’individu se déconcentre et se divise. / À force de luttes, avec le temps, la possibilité de s’exprimer, la contemplation gratuite, le gain et l’expérience de la rencontre, l’effusion de la parole et la structuration de la pensée. / La sphère protectrice éclate, la perspective se déploie ; dans la profusion de sphères à explorer, je trouve la brèche, le passage et la continuité de moi-même. / L’âme est un monde. Je ne suis plus une étrangère. » À l’Heure où les Fauves dorment, Citadel Road éditions, 2019, non paginé, 9 €.

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