François Montmaneix in memoriam, Possibles n° 49, octobre 2019

François Montmaneix, in memoriam
Le contemporain de ce numéro d’octobre 2019

Didier Pobel lit de Jean-Yves Debreuille, Laisser ouvert, La Rumeur libre, 128 p. 16 €

Jean-Yves DebreuilleSans doute n’est-il pas de très bon ton de parler d’un livre en commençant par ce qui ressemble à un défaut. Question d’élégance, bien sûr. Qu’on nous permette cependant de faire une exception ici pour dire que, dès les premières pages, il y a comme un obstacle qui – c’est bien le mot – nous saute aux yeux. On ne sait, en effet, qui a choisi la couleur des caractères mais le gris très pâle retenu laisse augurer d’une véritable épreuve optique. Or, renoncer serait pourtant un regrettable non-sens. Ne serait-ce qu’en raison de l’exhortation du titre, Laisser ouvert [*], prolongée d’une invitation à « Lire François Montmaneix ». Un appel qui, pour notre part, nous happe, nous qui avons, depuis de longues années, la chance d’être un familier de l’univers du poète disparu en octobre 2018.
Une connivence qui est aussi, disons-le, propre à l’auteur de cet ouvrage. Universitaire, spécialiste notamment de l’École de Rochefort et d’André Frénaud, Jean-Yves Debreuille était l’ami de Montmaneix. Voisins à Lyon et riverains d’enthousiasmes, d’émois ou d’agacements, notamment contre « le prétendu concept » ou « le galimatias mystique », tous deux aimaient se retrouver, au cœur des mots en partage – notamment au jury du prix Roger Kowalski créé par le premier et perpétué par le second –, ainsi que dans cette vraie vie qui un jour bascule. Ce fut le cas lorsque François apprit, au printemps 2018, que ses jours étaient comptés. Replacé dans ce contexte, le volume, que le malade vit s’élaborer sous ses yeux comme une sorte de faux testament, n’en est évidemment que plus poignant.
Mais ce qui retient avant tout dans cette « proposition de parcours » non dénuée de vertus pédagogiques, c’est, loin de toute sensiblerie et de toute investigation biographique, la vivacité de l’attention, la curiosité, la fraîcheur du regard que Jean-Yves Debreuille porte sur les recueils de François Montmaneix – une bonne douzaine, publiés entre 1967 et 2015 et repris, à l’exception du dernier, Saisons profondes, dans les deux gros volumes des Œuvres poétiques parus à La Rumeur libre en 2015.
À partir de textes, cités souvent en entier – et ce n’est pas un mince atout –, Debreuille avance, butine, ouvre la voie/x, scrute les mots dans leur relief ou leur transparence, esquissant un cheminement d’homme(s) à travers l’espace et le temps, de « l’éblouissement » initial à l’inéluctable sentiment de la précarité très vite perçu. Les thèmes chers à l’auteur du Livre des ruines (Belfond, 1980), des Rôles invisibles (Le Cherche-Midi, 2002) ou de L’Abîme horizontal (La Différence, 2008), sont là, entre célébrations et dénonciations : la femme, la musique – présences indissociables s’il en est –, « l’audace et la ferveur de l’enfance », la nature, les oiseaux, les arbres, les éléments… Avec, parmi ces derniers, sur L’autre versant du feu (Belfond, 1990), l’eau qui occupe une place primordiale.
L’eau qui sait se faire pluie, neige, larmes, engendrer demi-teintes, rêveries et sortilèges, l’eau qui irrigue et ronge, l’eau limpide ou trouble, l’eau au visage à la fois complice et inatteignable (« Je tends les bras vers le fleuve / qui n’aura pas de rives »). L’eau des étangs de la Dombes liée aux origines du poète, l’eau de la Saône aussi qui fut, jusqu’à l’ultime confluent du jour et de la nuit, la très fidèle compagne.
Comme dans ses paysages de prédilection, il y a de la brume qui flotte sur les pages de François Montmaneix, une sorte de voile qui n’exclut en rien l’exigeante lucidité du poète toujours rivé à « l’intensité du quotidien », fût-elle associée à cette part de fantaisie qu’il faut prendre au sens nervalien du terme. Quelque chose d’indéfinissable qui force les paupières et qui, in fine, nous ramène – comment ne pas laisser voguer notre imaginaire ? – à cette difficulté d’appréhension des caractères de ce livre évoquée plus haut. Un défaut, disions-nous… Et si, au fond, c’était aussi, comme s’il fallait que l’impression de l’ouvrage soit en harmonie avec le monde de Montmaneix, une qualité ?

Didier Pobel, note de lecture, 19 septembre 2019

Patricia Suescum, Le plus bel arbre —>

[*] Laisser ouvertLire François Montmaneix, La Rumeur libre, 128 p. 16 €. À noter que les deux premiers mots font écho à ceux que prononça George Sand juste avant sa mort, Laisser verdure, eux-mêmes repris par François Montmaneix en titre du recueil publié au Castor Astral en 2012, avec une préface de son ami Yves Bonnefoy.

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