Jean-François Mathé, Possibles, n° 49, octobre 2019

Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé
Hier : L’invité de longue date pour ce numéro d’octobre 2019

Trois extraits

Jean-François Mathé

Je regardais le feu
vivre du bois qu’il faisait mourir
et la neige tombait sans amasser
du silence sur le toit,
comme si rien ne pouvait poser
la paix sur le monde.
Un murmure aurait déchiré la voix,
mais se taire
ne faisait pas taire la mémoire
acharnée à creuser son chemin
vers le souvenir des morts
qui n’étaient morts qu’après la souffrance,
comme le bois dans le feu.

*

Je resterai contre toi, contrevent
contre autans, galernes qui nous en veulent,
nous voudraient loin de l’autre, seul et seule.
S’ils y réussissent parfois, souvent,

nous recousons chaque fois la tendresse
qui est de moins en moins l’amour ardent.
Tous deux contre le vent jamais perdants,
voyons en nous la lumière qui baisse.

Nous serons deux morts à la fin du vent,
mais lui mourra seul sur son point final
sans avoir éteint le faible fanal
qui toujours éclaire le temps d’avant.


*

Ce matin, le temps t’accorde un moment léger comme une feuille qu’il aurait détachée de son arbre pour toi.
L’air est le seul appui solide à la fenêtre ouverte. Tu as laissé tes murs dans le sommeil qu’ils oppressaient et maintenant tu es le prisonnier évadé qui regarde et respire l’étendue du ciel.
Feras-tu le premier pas sur le chemin élargi par le vent ? Iras-tu enfin ailleurs qu’en toi-même, pour choisir dans le plus lointain verger le fruit qui aura le goût nouveau d’une nouvelle vie ?

Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé, éd. Le Silence qui roule, 2019

Poète invitée: Colette Klein —>

Jean-François Mathé, Vu, vécu, approuvé, éd. Le Silence qui roule, 2019, 48 pages, 12 €
Tout d’abord, l’objet force l’attention. L’éditrice est un peintre. L’œil parfait se devine dès la couverture. Les dimensions, le choix des papiers, la taille des caractères, la mise en page, le sigle même, tout attire. Le regret tient à l’opuscule. Jean-François ne livre qu’une trentaine de poèmes brefs dont les trois ci-dessus. À son image toute de frémissements, il nous « laisse incertain dans son incertitude ». De quoi parle-t-il ? La solitude est sa future compagne. Les souvenirs l’emportent sur l’avenir. Il recueille un « consentement à mourir ». La délicatesse est sa marque de fabrique : « il n’y a d’oiseau qu’en nous-même / et c’est celui de l’inquiétude qui bat des ailes / sans jamais trouver où se poser ». Voyez les autres livres dans le déroulé rouge ci-dessus qui attendent votre lecture, au besoin. — Pierre Perrin, 21 septembre 2019


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