- Menu Possibles, nouvelle série n° 53, février 2020
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Claude Michel Cluny, Œuvre poétique
Le contemporain de ce numéro de février 2020
Éros [extraits, 1967]
I — Tu étais le Dieu, et ta voix s’accordait à l’eau des sources qui parlent, tes pas dans les pas du jour scandaient l’espace dans la paix de l’arbre,
légume bataillant contre le roc et sur le sable une ombre qu’efface ou creuse l’ongle du temps
– tu étais ce qui me fait croire que je suis, qui me donne et reprend la parole, la voix salée de la mer au creux des roches et déjà ton absence est le rire du sable dans ma bouche.
III — Ô proie dont je meurs les heures mangées sur mes lèvres. Chaque fois la terre se creuse plus profond autour de toi et c’est Orphée sans retour pénétrant son passé – et pas à pas ton souffle efface la trace de ce qui n’a pas encore été.
Je m’endors sur l’épaule de ta mort comme l’eau jamais lasse épousant la terre ton nom secrètement crié dans chaque chair que je mords.
X — Si tu n’es plus qu’absence, et si tu fais que je touche aveugle les murs de ma vie sans plus jamais avancer, si tu n’es plus que ruisseau amer et débâcles d’eaux glacées dans le cœur,
ne sois étonné de l’ombre venue sur ma bouche comme éclate la sève de l’arbre saccagé.
Ombre – source obscure et vaine qu’on ne sait plus disperser qu’aux lèvres de la mort, l’espoir, les années pourries, toute la vie aux chiens.
XII — Et toi sur les terrasses de sel et d’or dans l’attente des paroles de la mer leur promesse jamais tenue de proférer ton retour,
moi cependant caressant ton visage avec mes mains sans pouvoir et si loin de tout, et toute lance rompue contre le front pur du désespoir.
Et passent, si belles qu’on les aimerait, chantant de leur bouche absente un chant qu’on n’entend plus, de belles raisons de vivre, les désirs et paroles – les cendres sur le froid inerte des pierres.
Claude Michel Cluny, La Mort sur l’épaule, Rencontre, 1971, repris dans Inconnu passager, Gallimard, 1978, repris in Œuvre poétique, La Différence, 1991 [extraits]
ANTONIO BROCARDO À GIORGIONE [extraits, 1967]
Nous voilà donc à croire dans un pouvoir de la parole, et à nous prendre à son jeu, racontant cette longue aventure de vivre, dont le dire est merveilleux, mais aussi bien nous revanche de la vie, dur et pur comme exil. Si la parole est en nous-mêmes, nous sommes enfermés dedans. Dès que nous séchons notre papier, il n’est plus autour de nous qu’une grande solitude. À la fin, il n’y a plus que la mort sur les rives de la mer. Tout est néant. Mais dans la cendre des mots je sais bien que nous écririons encore, avec le doigt, comme des enfants.
Ce qui nous contraint de peindre ou d’écrire, c’est le naïf désir d’arrêter le temps, pour recommencer la vie dans notre solitude. Nous voulons durer par les signes, devenus les dieux de notre immortalité. C’est une autre religion : la belle affaire que de durer ! Si nous ne savons vivre, apprenons à mourir.
[…] Nous sommes périssables comme le rossignol qui mange le ver et fait son chant, nous ne parlons que du fond de notre silence et ne sommes ensemble que des hommes seuls. Nous écrivons parce que nous savons que nous allons mourir, et pour nous justifier d’attendre la mort.
Claude Michel Cluny, Les Cahiers du chemin n°3, 1967, La Mort sur l’épaule, Rencontre, 1971, repris dans Inconnu passager, Gallimard, 1978, repris in Œuvre poétique, La Différence, 1991 [extraits]