Nourredine Ben Bachir in Possibles n° 53, février 2020

Nourredine Ben Bachir
La “découverte” de Possibles, n° 53, février 2020

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Nourredine Ben Bachir

Tu as reçu la certitude inébranlable de l’amour. Va. Tu peux vivre où tu veux. On t’a donné le monde.
Moi, je guette. Le fruit dans ma bouche fond et fait sourdre à mon oeil une larme. Je tombe au fond de ma gorge.
Je vis au bord. En équilibre sur le parapet.
Entre guerre et paix. Dans le doute du sol.
Je me fabrique un tissu de mots et m’y blottis. Il a le nom de ce qui n’a pas été donné. Je te le donne.
À mon poste d’inquiétude je vois le va-de-soi que personne ne remarque. Sensible aux nuances, je suis là où le manque d’air délivre contre tout la note infime, je passe entre les murmures et repère le travail des poumons. Les pas frappant le sol, cet unique sauvé de la multitude. Mon coeur est un trottoir.
J’entends la phrase qui gonfle, celle qui roule, martèle, tonne. Et le cri déchirant les convenances de la rue. J’entends nourrir, mourir. D’autres que moi ont l’oreille sur la peau de la foule, parlez que je ne sois plus seul. Les silhouettes courent, retentissantes de l’obstacle. Sonnantes quelquefois dans une autre foulée. Dans le spectre des voix et des manières, mon corps en dérive s’étend.
J’écris dans l’incertitude inébranlable. Je suis l’enfant du seuil. Ils viennent de là. Mes textes. Là où se trouvent ceux qui attendent et hésitent. J’écris pour ne pas me jeter sous le tram.
Je suis l’homme des quais de gare. Les as-tu remarqués tous ceux qui hésitent au moment du voyage.
Et peut-être même n’hésitent-ils pas. C’est la force qui commande de tout son empire. À la lettre près, dans le train, sous les rails.
J’écris à partir de l’indécidé. L’exil est mon encre imposée. À chaque phrase j’accomplis l’effort de venir, de revenir, de me tenir, de m’agripper. Et c’est là que la beauté avoue ce qu’elle est : un travail de forçats pour troquer les chaines contre des liens.

Nourredine Ben Bachir, repris du Livre des visages, 25 janvier 2020

Hier : Virginie Megglé —>

Nourredine Ben Bachir est psychiatre. Il a publié dans sa discipline. Il vit à Thonon les Bains. Les poèmes qu’il donne à lire sur sa page du Livre des visages sont souvent très beaux.

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