Virginie Megglé, Possibles, n° 53, février 2020

Virginie Megglé, Étonnante fragilité
Hier : L’invitée de longue date pour ce numéro 53

La rumeur du silence

Virginie Megglé

J’aime ce pouvoir qu’ont les fleurs de nous réunir en silence
et celui des oiseaux de nous inviter à une légère gravité
J’aime la fertilité des non-dits qui s’insèrent dans les dialogues amicaux
leur implicite fructueux quand en écho ils s’interrogent
choisissent de taire pour ne pas blesser
de laisser courir pour mieux aimer
J’aime le silence qui infléchit les pensées, tamise les humeurs, accueille sans l’interpréter la curiosité qu’il induit, les attentions qu’il génère
J’aime les silences emplis du murmure de nos pensées sans qu’il ne soit besoin de les articuler… et ceux que ponctuent un regard, un geste, un sourire, une caresse
J’aime les silences vitaux qui nous rabibochent et celui qui me transporte dans les espaces du mot aime…
J’aime le silence que côtoie le clapotis de l’eau, le hululement de la chouette, le chant du crapaud, le froissement de la feuille de papier ou le battement de l’aile d’un papillon
J’aime me glisser dans le silence qui secrète des idées et m’étendre paisiblement sur la surface de celui que vient troubler la respiration rassurante de l’enfant assoupi
J’aime le silence qui ondoie pour formuler des mots, tracer des axes, dessiner des ponts comme celui dans lequel se gravent d’intimes certitudes que je n’aurais jamais besoin d’énoncer car elles se laisseront entendre par d’autres voies
J’aime le silence comme une nuit en plein jour dans lequel j’avancerai les yeux fermer ne percevant que la beauté
J’aime le silence inlassable dans lequel je me promène en pensée, son accueil sans limite, sa profondeur sans vertige, son étendue sans épines… J’aime celui dans lequel la nuit me plonge, celui de ma voix qui sans un mot en parcourt la musique.
J’aime le silence dans lequel s’inscrivent les graffitis et les bruissement de la vie, celui qui raconte l’éternité et sait à ma place que je ne mourrirai jamais… jamais… jamais
J’aime aussi les entendeurs de silences, qui les décodent et oublient la science pour penser avec le cœur
J’aime oui la plénitude du silence dans le monde endormi.

Virginie Megglé, Le Livre des visages, 5 octobre 2014

Poète invitée : Murielle Compère-Demarcy —>

Virginie Megglé est psychanalyste. Son dixième volume paru chez Eyrolles cet automne, Étonnante fragilité, est en librairie. « La modestie de l’auteur, l’acuité de sa réflexion et de son savoir, une puissante force de persuasion confèrent à la lecture de ce bref essai le sentiment d’une nécessité vitale. Sachant que huit chapitres structurent ce plaidoyer passionnant, Virginie Megglé rappelle en première ligne que pour notre société « la réussite est le maître mot. » À cet ukase, elle oppose son regard propre. « La fragilité est constitutive de l’humanité. » Sa démonstration ne souffre pas le doute. « Étymologiquement, fragile signifie qui est frêle, qui peut être brisé, broyé… qui se casse facilement. » Le nouveau-né, le nourrisson, longtemps le mal aimé sont à l’évidence fragiles, parfois en butte à force cruautés. Or, ajoute-t-elle, « la nature humaine est une œuvre d’art » et à ce titre les sentiments, les relations s’avèrent fragiles. La question qui libère la problématique de l’essai est claire. « Est-il possible de considérer la fragilité comme faisant partie de notre constitution avant qu’elle ne surgisse comme… » La suite de cette note parue dans le magazine Quinzaines se donne à lire aussi à cette adresse sur le site.

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