Abdel Aziz al-Maqalih, Possibles n° 58, septembre 2020

Abdel Aziz al-Maqalih
Le contemporain de ce numéro de septembre 2020

Un billet pour elle

Je suis du pays du qat[*] et l’éternité ne peut contenir mon drame
Je suis de ce pays, poème en larmes et lettre exilée
J’ai quitté la prison de la veille, drapé dans des volcans de colère
Les stigmates des chaînes sur mes mains croulent de fatigue
Je n’ai ni parfum ni pétrole et je n’ai pas d’or
Je me lave encore à l’eau de mer et bois dans des outres
J’ai les pieds nus, j’ai la tête découverte et je suis toujours épuisé de faim
La barque du désert me tient lieu d’avion et mon palais est en bois
Lorsque retentit le mawal dans la vallée l’extase me prend
Et lorsque le nay[*] des champs m’interpelle je fonds à sa complainte
Mais en amour, je prolonge une longue extraction, une grande fratrie
Sont dans mes veines Le Medjnoun et Jamil le fou des flammes
L’amour et moi sommes venus. J’ai grandi en rêvant à son ombre et il a poussé
M’accepterais-tu encore ? M’accepterais-tu Soleil d’Arabie
Je suis fou de toi. Le cours de ma vie en est égaré et troublé
Lorsque les prétendants se sont rencontrés devant la merveille de ton cortège
Ils ont parlé mais les mots sont morts pendus aux lèvres des flammes
Tu t’es laissé emporter par la verve des lèvres et mon silence déçu se lamenta
Tu es partie te nourrir et te baigner dans le flot du vacarme
Or, si tu savais, le silence est plus éloquent que mille discours

Abdel Aziz al-Maqalih, traduit par Jalel El Gharbi

Ce poème est daté « Le Caire, 1963 ». Le qat [sizième mot du poème] est une plante, une drogue douce. Les Yéminites mâchent les feuilles, ils passent leurs après-midi à ne rien faire d’autre. Le pays du qat (mot attesté en français avec diverses graphies) c’est le Yémen, bien que cette plante soit connue de l’autre côté de la mer rouge, en Érythrée[*]. Nay (attesté en français aussi et parfois orthographié ney) désigne la flûte au Moyen-Orient et au Maghreb. Le mot nay est en soi une référence à Gibran, Jalaldine Roumi donc à la mystique, Rumi emploie ce mot (c’est le même mot même si Rumi écrit en persan, en persan comme en turc on dit aussi nay)[*]. [Note du traducteur Jalel El Gharbi]

 


Abdel Aziz al-Maqalih, traduit par Jalel El Gharbi —>

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