Céline Aurimond, Possibles n° 58, septembre 2020

Céline Aurimond
La page “invitation” de Possibles, n° 58, septembre 2020

Notes de ventre (et cœur) rond

Autrefois pour façonner, pauvres potiers errants
Mes ancêtres mélangeaient leur terre glaise
À trop de sable et d’ossements
« Il ne faudrait pas trop frotter ! »
Disent-ils encore de leurs tombeaux
Sans quoi leurs fières statues s’effriteraient
Poignées friables de poussière
Glissante entre les doigts
Ils en tremblent encore, même après la mort
Plus que de la béance de leurs plaies
« Ma petite mère », qu’ils me disent, d’un élan de douceur
Pétris d’inconscience
Mais je sais comme leurs mains, dans la terre
Étaient en sang
Brûlantes d’ignorance et de mensonges
Je sais ce que côtoient les formules tendres
Hélas sincères, pourtant
Faux semblants dans lesquels nageaient
Tous les miroirs de la maison
Ils ne renvoyaient jamais l’image entière
Laissant une partie du reflet dans l’autre pièce
De quoi pourraient-ils être fiers, en toi
Eux qui voudraient encore pouvoir mirer, à leur guise
Leurs visages d’écorchés dans le tien ?
Sauraient-ils être fiers de tout ce qu’ils ne t’auront pas donné ?
Des mauvais tours que tu auras déjoués,
Des branches mortes élaguées ?
J’ai chassé de mes chairs les incantations meurtrières
Les diableries, les sortilèges de bas étage
Restent sans doute des traces de morsure
N’aie pas peur
J’ai laissé loin ceux et celles qui se croient seulement victimes
À leur rang d’inconsolables condamnés
Ceux et celles qui perpétuent le cercle de disgrâce
Dont ils se plaignent les premiers
Bâtisseurs de l’échafaud
Parfois un cri
Une réminiscence
N’aie pas peur
Ils ont laissé leurs petits pépier dans la boue
Parce qu’eux-mêmes étaient incapables de voler
Moi je t’offre, contre les poisons qui s’ignorent
Un cœur d’eau capable de pleurer
Un tronc d’arbre creusé de rien
Où la lumière peut te couver
Tu sauras, même sans grigris
T’abreuver du meilleur à la fontaine hantée
Ils n’ont déjà plus pied depuis longtemps,
Les spectres sans halo
Ils ne survivront pas à ton feu
N’aie pas peur, mon enfant
Tu n’en es pas à ton premier œuf fendu
Il y a bien longtemps que tu es né

Céline Aurimond, Le Livre des visages, 12 mai 2020


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Céline Aurimond, sous son nom de jeune fille, Escouteloup, fut la « découverte » de Possibles, n° 29, février 2018. Depuis, j’ai goûté ces poèmes-notes qu’elle a donnés au cours de sa maternité. Je le lui ai écrit en privé. Elle s’est hissée avec grâce au rang de Renée Brock, dont j’ai publié le grand poème Maternité dans les numéraux 6 et 7, en 2016.

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