Céline Escouteloup in Possibles n° 29, février 2018

Céline Escouteloup
La “découverte” de Possibles, n° 29, février 2018

Sauvagerie

Céline Escouteloup

J’ai les mains poisseuses, les cheveux pleins de poussière brillante et piquante et d’eau salée. J’ai les cheveux collants, et lourds, lourds de débris et d'eau de mer. Et le visage aussi. J’ai du sable dans le fond du bikini, de la neige boueuse dans le creux du cou, et du soleil vert agrippé aux pupilles. Mes cheveux touchent à terre, comme un épais rideau gluant aux pans opaques. Et derrière, j’ai les yeux profondément ouverts.

C’est ainsi que j’aime écrire le matin, un peu sale, un peu sauvage, encore éteinte mais qui brille, les doigts qui sentent le sexe, les cheveux pleins de nœuds, sans soutien-gorge et les pieds nus.

J’ai un flot de cheveux qui ressort d'en haut, et le visage penché sur le côté, le nez enfoui dans le rebord de l’univers. C’est là que naissent les sorcières, les fées, les anges et tous les complots du monde. Là, les glissades entre les âges.

J’ai mis les hauts parleurs en dessous de mes pieds, sous la chaise. De cette façon, ta musique monte et m’enveloppe, toute contenue, retenue, éclatante comme un ballon échappé des entrailles de la terre. Je n’ai besoin de rien d'autre. Tout le reste m’est bien égal. C’est-à-dire que toute la maison se tient désormais là sous la chaise.

Je vais écrire sur le mur du fond-fond-fond, faire claquer ma langue contre ton oreille en tenant ta main sans nom, sans visage, pour avancer dans le froid perçant. Je m’apprête à planter des fleurs derrière les rideaux. Je m’apprête à planter mon feutre dans le papier buvard et faire des ronds d’encre, et les regarder qui vont s’étendre par capillarité. Je m’apprête à sauter à la corde sur le bureau, jusqu’à ce qu’il se brise en trois. Je m’apprête à faire des boulettes de pain, les harponner sur le capuchon du stylo, avant d’imaginer chacun des petits miracles qui viendront me visiter.

Je prends ta main sans visage, et puis je m’écartèle pour que tu voies tout. C’est parce que je t’aime. Je n’ai pas peur d'être laide. Je m’en vais convoquer la divinité qui se manifeste quand on rit ou que l’on a un orgasme, à gorge déployée. Les pleurs, il faut les cueillir à la racine.

Céline Escouteloup, Debout dans tes yeux, éditions Unicité, 2017, 76 pages, 13 €
Couverture de Sophie Brassart

Une note de Dominique Boudou, sur son blog, à propos de ce recueil.

Hier : Pierre Chabert, Les Sales Bêtes —>

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