Roland Dubillard, Possibles n° 29, février 2018

Roland Dubillard
Le contemporain pour ce numéro de février 2018

Donner

Donner un arbre est-il possible ?
Cet arbre-là, que j’avais sous la main,
je l’ai donné ou j’ai cru le donner.
J’aurais donné des feuilles de laurier tout aussi bien.
J’ai demandé autour de moi
quelque chose à donner, la première venue.
J’ai vu l’arbre et j’ai dit : l’arbre.
Il résonnait comme un silence où la parole est prête.
L’ai-je coupé ? je ne l’ai pas coupé.
Ai-je parlé de chaque feuille ?
La nuit était si grande ! On aurait dit qu’avec son clair de lune,
elle avait chaque feuille à elle ;
et elle a emporté dans son silence mon silence intact.
Qu’ai-je donné ? Est-ce qu’on donne ?
La moindre pierre ne m’appartient pas.
Qu’ai-je donné ? Mais ce grand désir de donner
lui-même ne m’appartient pas.
C’est par la nuit que tu me tiens, ma belle.
C’est par la nuit que je disparaîtrai.

Qui ne s’est retourné dans sa nuit
étonné d’être noir aussi ?
J’ai reconnu l’immensité
sans être immense.
J’ai dit : venez puisque le ciel
semble sur moi pour qu’on en vienne !
Trop fort à quelques draps peut-être j’ai tenu ;
trop fort à ma chaleur contre les vents étranges.
Dans ma nuit j’ai construit ma nuit,
j’ai couché mon ombre avec l’ombre.
Le plaisir a pris mon plaisir.
Mon souffle m’a donné au vent.

Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé, 1966
repris en Poésie/Gallimard, 2018

Roland Dubillard, Solitude —>

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