Roland Dubillard, Possibles n° 29, février 2018

Roland Dubillard
Le contemporain pour ce numéro de février 2018

Usure

C’est dur, seul, de s’user soi-même ;
De se râper, de se limer.
Même mon pantalon ne s’use pas tout seul.
Du Monde entier viennent des aides ;
Des ouvriers de sel, de poussière, de sable,
Pour changer mon pantalon neuf
En un vieux pantalon en ruine.

Mais la Nuit ! Mais la Nuit qui s’use
Ne s’use pas à proprement parler ; c’est moi qui l’use,
Et qui m’use contre elle en une seule usure.

La lime use la lime ! — Il suffit d’utre double,
Doué d’une double arme ou d’identique utilité :
Subtilisé — utilisé Fusil se tirant ses deux coups d’un canon dans l’autre !
Les huissiers serviront de serrure aux huissiers !
Quand je vois deux marteaux fondre leur tête en une,
En forme d’énorme assommoir,
C’est moi-même que je crois voir,
Qui me mime en ma mort et, par-derrière moi,
C’est comme si statue de sciure, de rouille ou d’écorce,
un mort me souriait du fond de son tiroir.

Dernière usure

L’homme pour s’achever ailleurs
Ne compte pas sur le parcours par lui de son espace,
C’est de l’intérieur, par son parcours d’heures,
Qu’il use son corps et que son corps l’efface.

Comme un ange incarné, les ongles disparaissent.
Blanchi par ses cheveux, l’homme, en se refermant,
S’incarne dans sa mort, comme en lui sa sagesse.

Roland Dubillard, La Boîte à outils, 1985,
repris en Poésie/Gallimard, 2018

Roland Dubillard lu par Pierre Perrin —>

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