Roland Dubillard, Possibles n° 29, février 2018

Roland Dubillard
Le contemporain pour ce numéro de février 2018

Solitude

Il vissa son chapeau sur sa tête,
Sa tête qu’on avait posée à l’aplomb d’une hache,
Sur un billot de plomb ; puis il prit la parole.

« Vous dites : “Cet écrou sans vis !… Cette vis sans écrou !”
Mais l’écrou, savez-vous, l’écrou dans sa solitude,
Il ne s’aperçoit pas qu’il est seul !
Attirer l’attention sur la solitude où il est,
D’abord, serait-ce un service à lui rendre ?
Et puis, causer avec lui ? pas de sens !
Il ne serait plus seul !
(Ne parlons pas de la difficulté pour l’homme
D’être deux avec un écrou !)
C’est de l’intérieur qu’il faudrait lui faire sentir
L’abandon où il est tombé ;
Il faudrait entrer en lui sans que sa solitude se casse !

Vous savez, j’ai essayé ;
J’ai procédé par l’intérieur comme la scarlatine !
Comme le pas de vis ! Il s’est senti malade,
Voilà tout ! Cet écrou perdu,
Ça ne l’a pas rendu moins seul. »

Roland Dubillard, La Boîte à outils, 1985,
repris en Poésie/Gallimard, 2018

Europe

Roland Dubillard occupe 175 pages du copieux n° de janvier-février de la revue Europe. Comme il a expérimenté une multiplicité de genres : théâtre, poésie, nouvelle, fable, récit, chanson, cinéma, on l’a souvent classé parmi les inclassables. Le volume de Poésie/Gallimard ne comporte pas de préface, mais Jean-Pierre Siméon en donne l’équivalent dans ce n° d’Europe, puisqu’il présente cette part de l’œuvre. Son très beau témoignage se double d’une fine analyse. « L’homme chez Dubillard est le cousin gerrmain de Charlot, du Plume de Michaux ; la preuve : “je ne suis pas un intellectuel : je suis un expérimental”, p. 251 ». Il relève la déréliction, une certaine parenté avec Jarry, « la vie restituée en sa nue vérité », et bien d’autres éléments. Enfin il souligne « l’évidence d’une poésie qui ne ressemble à aucune autre, s’argumente d’une radicalité de ton et d’une puissance expressive hors du commun et livre comme peu d’autres une vision fulgurante, sans compromis, de l’aventure humaine dans son affrontement à la nuit irréductible de ses énigmes ». Les 200 pages restantes du n° présente l’œuvre d’Arthur Adamov, avant de s’achever en créations, chroniques et critiques d’une grande richesse. N° 1065-1066, Dubillard-Adamov, 375 pages, 20 €.

Roland Dubillard, Usure et Dernière usure —>

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