Élisabeth Loussaut, in Possibles, n° 8, mai 2016

Élisabeth Loussaut, Quatre poèmes
[La page “découverte” de Possibles, nouvelle série n° 8, mai 2016]

Armand

Élisabeth LoussautC’était votre prénom. Un breton du Finistère.
Vous aviez un visage rond, les joues rosées et un humour à rafler tous les rires. Vous n’étiez pas beau, vous étiez irrésistible.
En plus d’être conteur, vous étiez artiste-peintre. Vous cachiez dans votre carton à dessins des trésors en couleurs.
J’attendais la fin du repas.
J’aurais même fini le plat de chou-fleur si on me l’avait demandé pour vous écouter.
Vos légendes au bord du lac et dans la forêt de Brocéliande, je ne les ai jamais retrouvées.
Je crois que vous les inventiez pour voir nos yeux briller et vous souvenir de cette lumière.
Je vous aimais.

Des mots en l’air

Il est arrivé, lui avec elle, et les deux autres ont suivi. Ils se sont serrés sur le banc. Tous en cheveux blancs et habits d’été puisque c’était l’été.
Les femmes ont tout de suite trouvé un sujet de conversation qu’elles déroulaient comme un fil à tricoter. Il a tenté d’y participer, tenté c’est encore trop. Il a jeté deux mots en l’air, les a regardés s’envoler, les a entendus retomber.
Puis, il a chaussé ses lunettes de soleil et a croisé les jambes, a regardé derrière le noir de quelles couleurs étaient les fleurs, il a levé la tête, le ciel était bleu mais d’un autre bleu.
Il entendait des paroles sans les comprendre. Il a jeté deux nouveaux mots n’importe lesquels puisque personne ne l’écoutait. Il a souri. Il avait inventé le jeu des mots en l’air.

Le jus de fraises

Ils se sont assis sous les parasols. Elle, petite et fragile, lui, plus jeune, des cheveux blancs aussi, le même sourire.
Elle a posé son sac à main sur ses genoux, a commandé un jus de fraises comme lui et s'est assurée de ses cheveux. Tout était bien. Elle a ajusté le col de son imperméable. Il était bleu marine.
Elle avait envie de quelque chose de drôle en plus de la boisson. Une phrase, une histoire peut-être. Lui ne trouvait pas. Il cherchait.
Elle était prête à rire d’un rien pour passer un beau moment avec son fils, plus le verre et la douceur de ce début d’automne. 
Elle a bu son jus de fraises un peu vite. Elle n’était pas pressée mais elle lui faisait plaisir.
Elle a souri de boire si vite.
Elle en a eu les larmes aux yeux.

L’étoile du berger

Avant de se coucher, elle a écarté le voile brodé de la fenêtre, a cherché l’étoile du berger. Elle a fixé le ciel, a cru la reconnaître. L’étoile du berger et le berger juste en-dessous, les moutons à portée de bras et le chaud de la laine dans ses mains. 
Les bergers avaient une étoile pour les guider ?
Elle a laissé retomber le tissu sur l’ombre du champ. 
Le bois du plancher refroidissait ses pieds. 

Élisabeth Loussaut, Poèmes inédits

Chercheur en sociologie des religions et spécialiste du protestantisme évangélique, Élisabeth Loussaut est aussi écrivain. Dernières parutions : Pourquoi pas moi ?, éditions Le Bateau Ivre, 2015 ; Les premiers souvenirs, éditions Le Chat qui louche, 2013 ; À la vôtre, recueil de récits, Georget éditions, 2009. – Elle dit n’avoir pas encore lu Georges-L. Godeau. Elle a donc inventé un tour d’écriture qui rappelle celui de cet aîné qu’on peut retrouver dans, par exemple, Votre vie m’intéresse, anthologie, Le Dé bleu, 1985, rééd. 2000.

Yves Martin, entretien, suite, II —>

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