Marcel Arland in Possibles n° 11, août 2016

Marcel Arland, La Musique des anges
Le contemporain pour ce numéro d’août 2016

Tout art est une lutte contre la mort.
Marcel Arland, La Musique des anges, Gallimard, 1967

Les premières pages

couv. Musique des angesJe sais qu’il est en ce moment d’autres plaintes, plus douloureuses, sans rémission. J’entends une vieille femme qui se tourne dans son lit, et se retourne, et pleure, parce que son fils aîné est mort et que nul ne peut l’en consoler. J’entends une voix plus jeune, qui appelle comme on accuse, et à qui ne répond que le silence. Je n’oublie point. Tout est en moi : ce qui fut et ce qui demeure, vous qui dormez, nuit et royaume où nous passons. Ô nuit d’un royaume sur sa fin, mais qui ne m’a jamais semblé plus précieux ! Si ce ne peut-être l’apaisement, c’est une fraîcheur dans la brûlure, un peu de force, un peu de grâce – jusqu’au jour. [page 11]

Cette beauté qui n’affiche pas son nom, ce dépouillement qui n’est point pauvre, mais fait des lignes essentielles sa parure : voilà ce que j’ai toujours cherché, ainsi, partout, dans les paysages, dans les œuvres, même dans les hommes. Que j’en suis loin pour mon compte ! [pages 12-13]

Je n’ai guère cessé d’écrire au cours des récentes années. Je l’ai fait avec le meilleur et le plus dur de ma vie. J’y ai vécu. C’était un besoin, une quête, une délivrance provisoire. Mais l’œuvre achevée, le vide ; toute œuvre est une aventure, et l’on découvre que l’aventure est sans fin. Oh ! on s’en doutait un peu ! Davantage, on l’espérait. Voyons ! Nous ne sommes pas morts. Que deviendrions-nous s’il nous était refusé d’aller plus loin ! La vie se charge de renouveler la matière et jusqu’au sens de nos œuvres. Simplement l’œuvre a ses lois ; elle exige de se former en nous ; elle vient à son heure ; qu’on la devance, c’est dérision. [page 16]

Jusque dans notre abandon, nous ne sommes pas libres d’étreindre, au fond du cœur, cette voix sourde, cette sorte de chant qui ne demande qu’à s’élever. Lutte et prière, écrire : c’est se prêter à la voix, au chant, dans un accord avec le monde. [page 17]

Plus une voix naît du trouble, plus elle exige d’être pure. Il s’agit d’atteindre à cette voix, ou plutôt de la surprendre, de la délivrer tandis qu’elle ne se module encore que dans le cœur et dans l’ombre. – Ce n’est pas facile, quand tant de choses en nous ne sont que plaies, dont le sens nous échappe. [page 18]

Marcel Arland, La Musique des anges, Gallimard, 1967
[avec l’aimable accord tacite de l’éditeur]

Marcel Arland, La Musique des anges II —>

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