Marcel Arland in Possibles n° 11, août 2016

Marcel Arland, La Musique des anges
Le contemporain pour ce numéro d’août 2016

On ne choisit pas sa blessure. Elle naît au monde avec nous, mais de plus loin et, il me semble, de plus haut. Nous n’avons qu’à l’assumer.
Marcel Arland, La Musique des anges, Gallimard, 1967

Premier rabat de couverture

Marcel Arland en est à une si grande domination de son art que cet art se fait presque invisible. Nous voici dans la vie même, liés à ses rythmes, à ses mouvements haletants et comme fous puis à ses lenteurs comme rusées avec ses brusques ruptures aussi, les chutes dans les puits d’ombre ou les transfigurations inespérées. […] Le malheur n’est-il pas en arrière, dans une vaste enfance sombre avec ses blessures, avec ses morts, avec aussi ses pauvres et divines merveilles ? […] Ainsi tel léger paysage d’hiver, comme écrit sur la soie, on y est éperdu d’admiration et de gratitude, on en oublie tout. Comme dit la légende, l’auteur engage mystérieusement un pied dans son œuvre et y disparaît.

Jean Grosjean, sur le premier rabat de couverture, La Musique des anges, récit, Gallimard, 1967

Au cœur du volume

Tout ce que l’on a pu aimer en moi, ou que plus souvent l’on m’a reproché : humeurs, refus, révoltes, excès, malaises, obstinations rageuses, ce qui fait que l’on me tient pour invivable, et que je vis : la cause, la seule cause – ah ! comme tout est devenu simple ! – la cause aveuglante, c’est l’angoisse et l’horreur de me sentir en prison. Je l’avais, enfant, cette angoisse. Je l’ai eue la nuit, dans une “chambre” sans fenêtre, dans la moiteur de l’alcôve, refuge et tombe, d’où je me glissais quelquefois, pieds nus, jusqu’à la cuisine – et c’était encore l’ombre, mais, derrière les rideaux, la libre campagne nocturne. Je l’ai eue plus tard chez mes grands-parents, quand il me fallait coucher dans la “chambre du mort”, le lit du mort. Je l’aie eue dans une autre maison, où l’on m’avait donné à l’étage une pièce que j’aimais bien (la seule que j’aie aimée) ; c’était ma chambre et je pouvais y veiller tout mon soûl : s’importe, il est peu de nuits où, par le grenier et la grange, je ne me sois évadé jusqu’au jardin, à la côte, à la grande vallée silencieuse où je m’éveillais au monde. [pages 99-100]

Marcel Arland, La Musique des anges, Gallimard, 1967
[avec l’aimable accord tacite de l’éditeur]

La poésie se lit en tout registre. La Musique des anges de Marcel Arland fut une découverte de ma jeunesse. J’écrivais, j’avais 18 ans. Ce récit, qui n’en est pas un, plutôt une sorte de journal arrangé, une forme que Françoise Lefèvre saura reprendre, elle aussi, m’avait enchanté. Le hasard d’une discussion, sur Fb, avec Didier Pobel m’a conduit à le remettre en lecture. Déjà la note Jean Grosjean, ci-dessus, sur le rabat, redouble de grâces que Jacques Réda, dans La Sauvette, saura reprendre à son compte, écrivant de Grosjean : « À ce point, on se demande si la notion même de grand art offre assez de pertinence. On s’y tiendra par discrétion ». Et puis la poésie sourd en tant de pages de ce livre de méditation, La Musique des anges. Puissiez-vous partager ces bonheurs ! [P. P. Note du 4 août 2016]

Marcel Arland, La Musique des anges III —>

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