Barjini Nini Heyno, in Possibles, n° 11, août 2016

Barjini Nini Heyno, Trois poèmes
[La page “découverte” de Possibles, nouvelle série n° 11, août 2016]

J’ai 20 ans

© BarjiniJ’ai 20 ans, c’est la dernière fois qu’elle est folle, la première fois que je m’en aperçois autrement.
Dans mon ventre, un morceau de sa vie, qui va-et-vient lentement, comme une tendresse, au pourtour des parois fragiles de l’enfance, qui n’a rien perdu des regards, des peurs, dans la jachère de ses souvenirs.
Elle est là, en chair, elle me touche, dans mon enfant bientôt comme elle, elle me touche, avec ses mains, son coeur qui bât jusqu’en dehors, je me souviens, c’était la dernière fois qu’elle était folle, qu’elle a posé ses mains.
Elle voulait déjà bercer mes entrailles, dépouiller mon inconnu, le sentir exister dans la friche de ses pensées, déterrer sa vie dans mon ventre, tenter de s’y voir, tenter de croire vraiment qu’elle est vraie, qu’elle est sa peau, qu’elle a été joyeuse, amoureuse, et toutes ces autres petites choses qu’elle creuse.
À présent, j’arrive à les sentir, ses mains, lorsqu’elle les pose avec son mètre couture, elle est belle, quand elle ose venir, et qu’elle défait les noeuds sur son visage, et dans ses yeux aimants.
Le nuit est douce, avec une telle broderie,
Lorsque les voyages crépusculaires s’arrachent de mes paupières.

Dans son étrange et coriace habileté

L’eau, dans son étrange et coriace habileté, comme aimantée au murmure des autres courants, ruisselle, sans parfois même que la Terre ne s’en aperçoive.
Il y avait comme une espèce de tentation qui la poussait à vivre, et si souvent à déborder,
Que je me demande ce qui nous retient, nous les Hommes, d’affluer comme tel, de se jaillir et se répandre,
Je me demande.
On devrait pouvoir s’inonder, se mouvoir, se couler dans la bouche, oser laver sa langue, tremper l’amour et l’étendre au dessus du petit bois sombre et végétant de la torpeur, si sec, si mort, inutile et menaçant.
Le lit d’un cours d’eau suffit, à noyer la solitude des jours,
Mais la nuit, jusqu’où va-t-elle, quand la boutonnière des sentiments, éclate par la baie de mes yeux?
Elle s’achève peut-être à l’aube d’une pensée similaire, dans le cœur d’un autre même courant

Chaque seconde est une gorgée

Chaque seconde est une gorgée entre deux autres, pendues aux mamelles de la mémoire.
On devrait l’engloutir comme la première tétée, le cœur qui respire, et le ventre affamé.
Si avec la bouche on se prend la vie,
Avec l’amour on s’en souvient,
Et tout persiste,
Dans l’infini des sombres jours,
Tout redevient primitif,
Introducteur à la succion,
Où la poitrine aimée
N’a point le coeur qui se retient.
C’est par l’enfant, tout juste naissant, que j’ai aimé pour la première fois, que j’ai senti, qu’il fallait surtout recommencer.

Barjini Nini Heyno, Poèmes repris de Fb, 2016 avec l’autorisation de l’auteur

Barjini Heni Heyno ne se donne à lire que sur Fb. Elle n’a rien publié et ne souhaite pas s’engager dans cette voie où la compétition fait rage. Sa liberté de ton, la véracité qui se dégage de ses meilleurs écrits font d’elle à mes yeux une poète exemplaire et rare. Elle a un côté rebelle. De son compte sur Fb, elle écrit : « qu’il n’est pas une page, il est restreint, très paramétré, et certains peinent à comprendre mes réticences aux demandes de contact, mais je ne m’en soucie guère. »

Hier : Thérèse Plantier, La Loi du silence —>

Page précédente —  Imprimer cette page — Page suivante