Marcel Arland chez Didier Pobel in Possibles n° 11, août 2016  

Didier Pobel, Un beau soir l’avenir
Quatre évocations de Marcel Arland dans ce récit paru à La Passe du vent, 2014

cou. PobelJ’aime bien ce mot, consolation, emprunté à Marcel Arland que je lisais déjà à l’époque. « Saurai-je enfin vous parler comme ici ? J’ai peu d’illusions sur moi, et je ne souhaite pas que vous soyez moins lucide. Je ne vous apporte rien que vous ne connaissiez ; mais de ce que je suis et de ce que vous êtes, à cette heure de nos vies, il me semble que nous pouvons tirer un chant qui soit le nôtre et nous accompagne. » Arland est mort en 1986. Le 12 janvier. Il n’y avait pas place, dans mes pages, pour une évocation de l’ex-patron de la NRF mais j’avais donné, je me souviens, un article dans Entailles, une bonne revue littéraire aujourd’hui disparue. Disparue, c’est vite dit. Rien ne disparaît vraiment. Il reste des stocks d’Entailles dans les recoins de l’appartement de l’ami Philippe.

La terre natale ? Voilà qui me ramène à Arland. Il est bien rare que j’oublie de prendre le livre qui porte ce titre, l’un des premiers de l’auteur de L’Ordre. Je traîne après moi, comme une liasse d’ombre, une vieille édition de poche datant des années 60. Sur la couverture, d’un vilain marron, on voit un paysan en chapeau et sabots, bâton à la main, conversant avec une gamine portant une coiffe. À l’arrière-plan, se profile un chemin creux au bout duquel, sur une butte, se dresse une église entourée de quelques bâtiments. Tout cela sent la terre, les ancêtres, mon histoire, ma piété, ma pitié.
Ce soir, j’en reviens à ce passage, cent fois lu ainsi qu’en témoignent les traits au crayon dans la marge : « Ce sont de tels instants qui m’apparaissent d’abord si je songe à mon enfance. Ils n’étaient faits de rien : le sable d’une chènevière, un arbre qui se balance au-dessus de moi, un mur, une pierre et pas même. Et je ne puis dire que j’étais sensible à la rareté d’une couleur, ni aux grandes lignes d’un paysage. Nos paysages, il m’a fallu plus de vingt ans pour les découvrir. Je ne les croyais ni si amples, ni si purs, ni si harmonieusement ordonnés. Et pourtant à mesure que j’en prenais conscience, je retrouvais mon enfance même qui s’en était pénétrée avant de les comprendre. »

En ce mois d’août, entre deux haltes dans le Clunysois de Pierre Abélard et de Pierre Boudot, je lisais inlassablement Marcel Arland, traqueur oublié de « l’instant aigu du bonheur ». J’avais emporté, cette fois-ci, une édition jaunie des Plus beaux de nos jours, un recueil de nouvelles paru en 1937 à la NRF. À la page 82, un passage était marqué au crayon : « Nous avons eu notre légende. Elle a valu ce qu’elle valait ; pas grand’chose peut-être et on pourrait en sourire. Mais cela a été notre histoire, et c’est tout ce qui nous reste, et c’est avec cela qu’il nous faudra vieillir, que nous saurons vieillir. »

Je n’avais pas failli, cet été-là, à ma tradition arlandienne. Je crois que j’avais emporté Proche du silence, l’un des derniers livres de celui dont j’apprécie tant la propension à interroger le monde, dans le demi-jour des passions, en un murmure de confessionnal. Je ne suis pas sûr d’avoir pris le temps d’ouvrir ce récit épistolaire. L’aurais-je fait que je me serais peut-être arrêté sur ce passage : « Donc je vis, je vais, reviens, me désole ou m’enchante. Passent les années : je n’ai plus d’âge ; encore un peu, en doutez-vous ? Je serai à la mesure du monde. » Ces phrases, qui constituent le dernier chapitre, sont extraites de la Lettre VI. Elle est adressée, cela ne s’invente pas, “à J.”

Didier Pobel, Un beau soir l’avenir, La Passe du vent, 2014
[avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur]

Découverte : Barjini Nini Heyno —>

Didier Pobel est déjà présent dans le n° 4 de cette série, avec trois poèmes repris de la série imprimée des années quatre-vingt.

Page précédente —  Imprimer cette page — Page suivante