Marcel Arland in Possibles n° 11, août 2016

Marcel Arland, La Musique des anges
Le contemporain pour ce numéro d’août 2016

J’appelle amour la plus haute façon d’être libre et de lutter contre la mort.
Marcel Arland, La Musique des anges, Gallimard, 1967

La fin du récit

Je me souviens de mon enfance et des nuits de Noël, des bûches au foyer, du vent sous la porte, du père dans sa tombe, des yeux lointains et du souffle rauque de sa veuve : nous avions notre veillée. À minuit, on éteignait tout et la maison devenait silencieuse. C’est que les âmes disparues ont besoin d’ombre et de silence pour revenir à leur ancienne demeure. Je les sentais, de mon alcôve, se pencher sur un reste de bûche : âmes sans corps, et qui venaient de si loin dans le temps et la nuit. Devinaient-elles ma présence ? C’était ma famille inconnue, famille d’ombres, et de moi, bien au chaud, que pouvaient attendre ces ombres frileuses, sinon de les mêler à mes jours, de les porter jusqu’au Noël prochain, à la nuit d’élection où, de ce reste calciné de bûche, on allumerait un nouveau feu ? – Ainsi de beaucoup d’autres âmes depuis lors, et de la mienne… [pages 269-270]

J’étais l’autre jour dans un hôpital. Poussant une porte, j’ai aperçu ma mère. Assise dans un coin, elle se tenait immobile, les yeux fixes, fixés dans une interrogation, un combat, une attente peut-être, qu’elle a toujours eus, mais à présent silencieuse et d’une gravité farouche. […] Une heure ensemble. Nous n’avons pas dit grand-chose. Je l’ai quittée. Je suis descendu de la ville forte vers mon train, comme jadis, quand m’attendaient les vacances et les jours inépuisables. Je me suis enfoncé dans la brume ; à peine si je reconnaissais mon chemin. Et pourtant c’était comme autrefois ; c’était un cœur aussi gonflé, plus anxieux sans doute, moins avide ; c’était une corde qui, après tant de vibrations et de meurtrissures, se tendait en moi à se rompre, comme si elle eût à délivrer, avant la fin, le son le plus haut et le plus humble, le seul qu’elle eût appelé de toujours. Je sers une cause qui me dépasse de loin. Je ne peux la nommer. Mais c’est pour elle que je vis, et je voudrais que mon dernier mot ne fût que louange. [pages ultimes 271-272]

Marcel Arland, La Musique des anges, Gallimard, 1967
[avec l’aimable accord tacite de l’éditeur]

Évocation de Marcel Arland par Didier Pobel —>

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