- Menu Possibles, nouvelle série n° 11, août 2016
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- Contemporain : Marcel Arland
- Marcel Arland, La Musique des anges, II
- Marcel Arland, La Musique des anges, III
- Évocation de Marcel Arland par Didier Pobel
- Découverte : Barjini Nini Heyno, Poèmes
- Hier : Thérèse Plantier, [n° 5, avril 1976]
- Invitation : Béatrice Marchal, 2 poèmes
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Thérèse Plantier, La Loi du silence
Fragments du récit qui occupe les pages de gauche du volume
Celui qui ne dit pas tout ne dit rien. Thérèse Plantier, La Loi du silence éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975
Tout ce que j’avais de beau, fût-ce moi-même, je l’offrais pour qu’on en profitât. Je donnais tout, moi par-dessus le marché, et j’oubliais. […] Moi aussi, j’ai faim et je souffre le martyre, sans oser le dire. J’ai faim de justice. J’en mourrai.
Quelle poésie ! La braise, c’est le doute. Les mots y défilent ne soulignant que le temps dont ils sont dépositaires et moi je suis un écrivain qui écrive. […] La poésie stoppe net comme l’honnêteté. La colombe. La poésie, un torrent qui nous boule en bas, cul en l’air, bouche en rond, un pied par ci, une main esseulée qui voyage à part et ainsi de suite jusqu’à totale disparition. Nous sommes perdus.
Mon enfance est creusée de solitaires demeures, comme si j’avais marché paisible et tiède sur un chemin uniquement frayé par les fantômes de tout petits retraités. Un matin d’été, les grands-mères partaient pour la ville dans leurs longs jupons noirs qui y parvenaient blancs. En passant, elles regardaient les maisons où tant de belles morts étaient passées.
Le style c’est comme la pudeur : on finit pas s’en débarasser.
Amie, non de l’homme dont le ver se tortille sur les ventres mais de l’homme qu’on m’avait enseigné dans les livres à court d’arguments, homosapiens taratata plutôt tata, je me suis élevée par l’escalier de service de la philosophie, aux marches encaustiquées par nous futiles soubrrettes, jusqu’à une hauteur rarement atteinte par les autres familles animales, si tant est que je puisse me considérer comme une famille (de cellules) consommant par exemple de la chipolata. Qui s’en étonnerait ? L’ombre développant les facultés intellectuelles, telle l’église auprès des presbytères, il faut aimer l’ombre pour aimer l’homme, je l’ai compris, enfouie dans mes grottes bien aménagées, à gazon coulissant, tout à fait le gendre de film où, dès qu’une fille a susurré du bout de ses dents u.s.a. J’suis tellement heureueueueuse ! on aperçoit un voilier paissant comme une oie dans la prairie violette des mers tropicales. Je ne cède jamais aux sollicitations solaires […] Même si j’ai tardé à le faire, je dis mon mal, qui est d’aimer.
Je cherchais à aimer, j’y ai réussi, je n’ai pas offert à Dieu le sacrifice de ma vie. Se désigner par son argent, peindre ses armoiries sur la portière de sa voiture et n’être pas coupé en deux par une bonne rafale de mitrailleuse, voilà qui n’en finira jamais de m’étonner, moi qui suis de la génération où les buildings rampaient encore dans le ciel et ses brouillards. Les morts s’ennuient, mettez-vous à leur place, la lumière des cloches ne parvient plus à les émouvoir, le vent draine dur dans leurs artères spatiales, congèle ce qu’il en extrait et l’enfile aux flèches des églises. Où les oiseaux pendant ce temps prennent-ils le cœur de chanter ? Comment leurs chœurs ne s’envolent-ils pas pour Noël ? Acte crépusculaire : l’écriture.
Thérèse Plantier, La Loi du silence éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975
[avec l’aimable autorisation de Christophe Dauphin]
Thérèse Plantier, née en 1911, a publié une dizaine d’ouvrages. Elle est décédée en 1990. Ce fut une forte nature, tempétueuse, aimant l’amour sous toutes ses formes. Je l’ai vue nager sous la lune, à minuit, nue dans sa piscine de Faucon avec son égérie d’alors, écrire presque sous mes yeux un de ses meilleurs poèmes « La Piscine » [descendre au milieu de la page]. Son quatrième et dernier mari, de quarante ans plus jeune qu’elle, s’est suicidé peu après la disparition de cette poète sans concession. « Si j’ai envie de crier merde je le crie. » Elle s’est souvent brouillé avec ses contemporains, trop entière. Christophe Dauphin lui a consacré un beau n° de sa revue Les Hommes sans épaules, en 2013.