Alain Borne in Possibles n° 12, septembre 2016

Alain Borne, En une seule injure
Le contemporain [1915-1962] pour ce numéro de septembre 2016

Je n’avais pas reconnu le mouvement des moissonneurs
à tâtons dans l’odeur blonde
ni l’éclat de midi dans sa robe torride
ni la peur des oiseaux au-dessus des forêts
à l’instant où le nid répand son huile de plumes neuve
ni le baiser touffu de la chair à la chair
dans la chambre d’épine cependant que les sangs
accordent leur chaleur à la fièvre de l’air
ni le sérieux des fruits tirant de tout leur poids
la palme des vergers
ni la grêle des guêpes perçant jusqu’au ciel leur cœur
ni la poudre d’antennes vibrant sur les couleurs
drapeaux purs des sauterelles
tache d’huile des papillons.

Je n’avais pas reconnu la nuit fervente et brève
de toutes nudités demeurée la plus nue
avec ses cheveux noirs dressés par les vents sombres
et son grand réseau d’algues plongé dans le phosphore
et le lugubre appel de ses miroirs
sur le silence de la luxure.

Été pourtant c’est pour toi que je chante
ami que l’on retrouve en son âge aggravé
au tournant de juillet
et soufflant de sa forge au-devant de nos corps
son armure de chair furieuse.

Folie des mois de sel
folie des mois de poudre
c’est ici que le feu ose enfin se répandre
c’est ici que le sang ose creuser son double.

Mon clair paroxysme mon zénith certain
c’est toi les yeux fleuris
c’est toi la bouche ardente
miel pour les abeilles, blé pour la main de peine
et proie pour mon corps d’ombre.
Automne, hiver, printemps.

Modeste anneau pour retenir
le diamant solitaire lançant ses feux de fleur sanglante.

Alain Borne, En une seule injure, Rougerie, 1953 [épuisé]

Alain Borne Le plus doux poignard —>

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