- Menu Possibles, nouvelle série n° 12, septembre 2016
- Sommaire de ce n° 12, nouvelle série, septembre 2016
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Alain Borne, Indéchiffrable est le visage de l’homme
Le contemporain [1915-1962] pour ce numéro de septembre 2016
Au sommet des bêtes, clignote l’homme, mèche sur le suif, lucarne dans le toit, ver luisant sur une main de nuit.
Alain Borne, Le Plus Doux Poignard, Chambelland, 1971 [épuisé]
Indéchiffrable est le visage de l’homme.
Un pâté de cervelle froide est mis au moule de sa tête.
À peine est plus chaud son feu que celui des bêtes.
Dans ses yeux je vois les mêmes herbes nager dans la même eau.
Indéchiffrable est le visage de l’homme.
Sur la pierre on écrit une histoire.
Mais le visage de l’homme n’est pas une pierre où écrire.
Sous le pouce la peau se dérobe, l’œil gicle, la cervelle éclabousse.
Le visage de l’homme est pourtant à mi-route de la pierre et du fruit, un obstacle au regard où est écrit quelque chose.
Impossible de lire.
La dérive de son destin le mène du rien au rien en trois coups de cœur.
Dans l’éclair pas le temps de lire.
Il va par troupeaux dans les guerres et les travaux.
Il campe sur la femme et sous Dieu mêlant son sexe et sa tête en une bouillie de mots.
La massue du fond des temps n’a pas mûri en sa main.
Il ouvre toujours les bêtes.
Il mange toujours les fleurs.
En même temps le sang l’habite et le coud.
Il crucifie sachant qu’il est promis aux clous.
Il se poignarde de crainte du couteau.
Le lait des étoiles affame sa nuit.
Il s’arrache les yeux afin de ne plus peser le soleil.
Il éclaire son âme du meurtre des chouettes parce que pour elles tout n’est que jour.
Il emprisonne Dieu dans des murs d’encens et d’étoffe et de pierre.
Il se nourrit du cœur amer de son frère et n’en peut supporter le goût.
Il repousse la mort, fuit la vie et se tient sur une île de cendres.
Il se roule dans l’épine des saisons en poussant des cris.
Il veut l’éternité, accable par un jour.
Indéchiffrable est l’homme maudit et maudissant.
Aveugle et clair.
Ver dans une motte jetée au feu.
Alain Borne, in Poésie 1, n° 25, mai-juin 1972