- Menu Possibles, nouvelle série n° 12, septembre 2016
- Sommaire de ce n° 12, nouvelle série, septembre 2016
- Contemporain : Alain Borne
- Alain Borne, Le Plus Doux Poignard
- Alain Borne, Indéchiffrable, inédit
- Présentation du poète Alain Borne
- Découverte : Anne Marguerite Milleliri, Poèmes
- Hier : Jean Breton, [n° 11-12, déc. 1977]
- Invitation : Jean-Pierre Georges, 2 poèmes
- Tous les
sommaires
- Index des auteurs publiés dans Possibles
- [Pour la B.N.F] ISSN : 2431-3971
- Accès au n° 13 paru le 5 octobre
Jean Breton, Un poème, une prose
[Hier : Reprise du spécial Jean Breton, n° 11-12 [4ème trimestre 1977]
Écrire, c’est se dilater, capter avec des antennes géantes, respirer au plus large […] c’est rejoindre.
Jean Breton, Le Péché immortel, essai, Le cherche midi, 2002
Occitanie
L’automne faisait bourdonner les prochaines récoltes.
Sur le ciel tendu entre les dénivellations des collines, on aurait pu écrire directement, par exemple avec le doigt et des raisins écrasés (des vignes n’avaient pas connu la vendange).
On ne demandait qu’un bonheur simple : le temps de vivre un peu plus élastique ; la promotion du désir, de la paresse, en vertus ; sur pilotis géants, la mer rapprochée, avec des bateaux pour les pauvres ; des médecins aux masques savants pour effrayer la maladie, l’expulser du pays. Et on lui interdisait de prendre la mort pour avocat !
Partout le soleil rétablissait l’égalité des chances.
Alors s’avancèrent les propriétaires de la banque et de la vraie foi. Eux seuls étaient armés.
Le Métier de poète
La poésie, c’est une aventure de l’esprit ; la publication, une péripétie. Vivez avec le siècle, mais blindez-vous. Vous resterez seul. Sans bonne conscience. Tant mieux : on vous attend pour désaliéner. Homme de paix, pourtant, et de communication. La poésie est une doctrine de pardon.
Secouez-vous. Sortez de votre nombril. Soyez curieux envers autrui. Lisez des poètes qui vous entourent. Allez aux critiques sévères et non aux mécaniques molles qui approuvent tout. Ayez du flair : exercez-vous à lire entre les lignes un compte-rendu, tantôt sorti du cœur, tantôt sur commande ; devinez qui est qui à partir d’une simple boutade, contrôlez les ragots, lisez l’œuvre de ceux qui jugent, vérifiez, sur des années, leurs pronostics. Soyez distrait avec la mode. Ne perdez jamais votre temps avec les médiocres. Aidez votre éditeur, au lieu de le calomnier.
Et vivez ! Qu’entre votre œuvre et votre anatomie, vos psychoses, se tissent ces accords, ces répulsions, ces “pianotages” qui dotent une langue – qui traînait au ruisseau – de frissons, de syncopes : cherchez le lieu possible de votre marque, à partir de repères mûrement étudiés, avant de la creuser, toujours plus avant. Lisez par priorité les livres, ceux qui vous attendaient.
Avant de vous laisser à votre sort, je vous cède deux réflexions. Elles ne sont qu’apparemment contradictoires : Aucun don littéraire ne passe inaperçu. Le talent ne représente que trente pour cent de l’affaire. Méditez cela.
Vous avez une chance sérieuse de succès, poète, mon rival, mon frère, s’il y a en vous une épaisseur de désespoir, une “culture” solidement bâillonnée par la sensibilité et une personnalité rétive aux modes. Tenter la gloire à visage d’Orphée, c’est lancer une mince échelle vers le ciel. Peut-être deux cent mille appelés… et une centaine d’élus sur cinq générations, à la fin du vingtième siècle.
Je vous souhaite d’être du nombre. Amen.
Jean Breton, Le Métier de poète [la fin], in Le Magazine littéraire, décembre 1970
repris intégralement dans spécial Jean Breton, n° 11-12 [4ème trimestre 1977]
Jean Breton [1930-2006] est excellemment présenté par Christophe Dauphin, l’un de ses fils spirituels, actuel directeur de la revue Les Hommes sans épaules.