Jean-Yves Masson in Possibles n° 15, décembre 2016

Jean-Yves Masson, Offrandes
Le contemporain pour ce numéro de décembre 2016

Un poète sait qu’il va mourir, il est même déjà mort en pensée pour pouvoir regarder le monde comme il le fait et parler de la présence sur fond d’absence.
Jean-Yves Masson, Fb, 3 novembre 2016

Lettrine Mon âme, toi qui portes un nom de charme et de sommeil,
dormante en moi, plante ou saison, et divine
ou mortelle, que ferai-je, moi, de ce nom
imprononçable à force d’impudeur et de vacarme,
noble pourtant sur tant de lèvres comme un oracle,
comme une énigme en attente de l’avenir ? […]

Mon âme, bien longtemps, j’ai redouté ta confidence,
craignant le jour où tu répéterais devant un juge
dont je ne connais rien, malgré tant de prières
et de larmes, tant de serments jamais tenus, tant de parjures,
le peu que j’ai connu de moi, cherchant à deviner
dans ce temps limité où je suis pris, ce qui fracture
d’une promesse d’espérance notre prison. […]

— mon âme, si je dois ressusciter, je voudrais que ce soit ici,
dans la beauté et la douleur de cette terre, vaisseau
lancé dans l’infini nocturne avec son poids
d’incompréhensible souffrance, je voudrais que la terre
revive en nous transfigurée, avec ses leçons
ténébreuses, ses amants enlacés, ses orages, ses temples,
ses terrasses fiévreuses et que, des tombeaux silencieux,
il monte de nouveau, le chant brûlant des chairs,
et que je sois couché la nuit contre le corps
dont la perfection m’épouvante et me ravit,
temple adorable, et que la louange enfin soit possible
de ce qui fut, lorsque m’aura déserté la colère, – oui :

s’il faut ressusciter un jour, mon âme,
c’est la terre que je choisis.

Jean-Yves Masson, Offrandes [V, extraits], Voix d’encre, 1995
Cette mise en ligne n’aurait pas pu se faire sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur

Jean-Yves Masson, Onzains de la nuit et du désir —>

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