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Michèle Lévy, Ce soir d’angoisse métallique
[Hier : Reprise du n° 22 [1er trimestre 1980]
Cheval
J’ai une âme de coursier, âme fantasque, difficile au frein, une âme à soleiller par les chemins où vous m’aviez menée, petite, rosie d’amour et de lait.
Cheval, mon secret natal ! Sous ma tête rétive j’encensais les étoiles, sueur et nerfs envahissaient ma crinière, unissant l’écume à la pointe de mes oreilles. Je portais haut et clair mes larges sabots noirs en frissonnant aux parfums durs qui traversaient mes dents. Nimbé d’abeilles, je longeais le houx tiède entre les aigles et midi vert. Libre ! J’étais cavalière et coursier, crépitant au soleil, j’écrasais les gravats à la montée des vents et je fouettais l’air en exultant sous les lumières.
Qui m’a faite femme ? Je renâcle et renifle tout bas en soufflant ma colère de ce corps trop bavard et trop lent qui borne mes voyages.
Jadis mes enjambées étaient errantes, à la mesure de mes désirs et je gonflais mes lèvres sur le sang vert des ronces. Ma force coulait comme un argent liquide sur mes jarrets, harnaché d’étincelles je hennissais très haut, ivre de vie, les paupières fendues d’un grand désir d’étoiles.
Aujourd’hui je marche à pas comptés dans ma chair trop douce, mais ma langue n’a pas perdu l’odeur fauve du cheval qui pèse en ma mémoire.
Michèle Lévy, Ce soir d’angoisse métallique, Possibles n° 22, 1er trimestre 1980
Nue jusqu’à l’os
Nue jusqu’à l’os
j’étais racine d’arbre prise dans l’eau gelée
et j’entendais craquer la glace.
Les gens me regardaient, de loin,
en soufflant dans leurs doigts.
Il faisait bon dans leurs fourrures, ils riaient.
De temps en temps on s’amusait à me lancer
un gros caillou.
Mais le sang sortait tiède, ça me brûlait
avec ce froid.
D’autres sont venus, ils se promènent
ils me montrent du doigt ils ne
comprennent pas pourquoi l’hiver a
refusé de sortir de l’étang.
Michèle Lévy, Ce soir d’angoisse métallique, Possibles n° 22, 1er trimestre 1980