- Menu Possibles, nouvelle série n° 17, février 2017
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Alain Nouvel, Deux poèmes
[La page “invitation ” de Possibles, n° 17, février 2017
Qui m’avait fait tomber
Qui m’avait fait tomber, sur le bord de la route ?
J’étais là, immobile et regardant ceux qui passaient.
Mais nul ne s’arrêtait. Nul ne me regardait.
J’avais beau tendre la main, personne ne la prenait.
À qui, à quoi je ressemblais, je ne sais pas.
Tous ces regards, tous ces regards qui me niaient.
Un enfant est venu, de loin je le voyais qui s’avançait.
Il m’a dit : « Qui tu es ? » et j’ai su que j’étais son ombre.
L’arbre nous dit
L’arbre nous dit :
« Je te donnerai ce que je puise,
Je te donnerai ce que je puis,
Du plus profond de la terre lointaine. »
Et des oiseaux se posent
Parmi ses feuilles d’or et d’eau
Écloses.
Ils s’y reposent et s’y baignent.
Ils y picorent en plein ciel
Le sous-sol.
Arbre si doux, si généreux,
Je voudrais être comme toi,
Et faire circuler
Depuis le sol vers la lumière
Ce qui est.
Nous avions été regroupés
Nous avions été regroupés dans la grande salle de conférence et il s’avérait que M. Robbe et M. Grillet étaient tous deux de fort brillants causeurs. Je me rappelle encore (et me le rappellerai toute ma vie), le moment où, devant une assemblée très nombreuse et attentive, l’un d’eux, tout en parlant, s’était penché vers moi en un geste à la fois très naturel et fort théâtral… Il ne se rappelait plus, soudain, le nom de cet immense philosophe russe qui avait renouvelé l’enseignement de l’hégélianisme en France entre les deux guerres et il désirait que je remédie à son fâcheux trou de mémoire (j’ai su, plus tard, que ce genre de facétie lui était familière et qu’il adorait mettre ainsi sur la sellette ceux qui l’approchaient)… J’hésitai quelques secondes… Etait-ce Koyré ? Non, Kojève ! C’est alors que Robbe et Grillet se réunirent miraculeusement en un seul sourire, qui, l’espace de quelques secondes, me regarda pour de vrai. C’était bien ce nom de Kojève qu’il avait eu sur la langue et il me remerciait d’avoir su répondre à cette devinette que lui, le Sphinx, avait su poser au moment qui lui avait semblé propice pour me mettre à l’épreuve. Le chien fou que j’étais alors avait bien failli perdre la face devant le tout Nankin où il représentait la culture française. Et dieu sait si les Chinois ont l’épiderme du regard sensible, quand il s’agit de perdre la face.
Alain Nouvel, Poèmes et fragments inédits
Alain Nouvel vient de publier un beau recueil de nouvelles aux éditions des Lisières. Le fragment de prose ci-dessus lui est venu en réponse à la note de lecture que j’ai consacrée à son ouvrage, à parution.