Lionel Ray, Possibles n° 17, février 2017

Lionel Ray, Matière de Nuit I
Le contemporain pour ce numéro de février 2017

Solitude

Si nous sommes seuls c’est que les mots ont disparu
Et avec eux les attentes et les rencontres,

Alors les miroirs ont perdu leur sens,
Il n’y a plus que l’insouci des brumes

Et des visages retirés en eux-mêmes dans l’absence
De tout. Ainsi à tâtons tu marches

Dans une lumière vide sans rien voir
Du jardin sans rien entendre de ce qui est

De l’autre côté des portes. On croirait que
Les horloges sont arrêtées depuis longtemps,

Tu cherches l’horizon et ne trouves qu’un mur,
Le poème est sans pouvoir tout chemin inutile,

Des mots il ne reste plus que ces traces de suie
Sur tes mains trop lourdes tes mains inacceptables.

L’oiseau de vivre

Serait-ce vous, l’oiseau de vivre, venu
Des collines, couleur paille, et déchiré ?

Chose vivante en grand désir d’être, ce
Qu’on perçoit, ce qui bouge au défaut du corps

Et de l’âme. Serait-ce vous, cette multitude
Secrète de fleurs éparses dans de froides brumes ?

Est-ce vous, fleurs à fruits, tandis que nous
Allons récitant saisons et châteaux, les illusions

Tout humaines ? Vous, dans l’alliance heureuse
Des pierres et du vent, et comme ici le sable souffle

Quand les mots nous traversent avec ce haut pouvoir
De la musique, cette passion de l’innommé,

Cela qui se penche au-dedans de nous-même
En grand désir de chant comme un faucon

Jailli du ciel d’en haut… il entre dans le noir.

Lionel Ray, Matière de Nuit, Gallimard, 2004
Cette mise en ligne n’aurait pas pu se faire sans l’accord de l’auteur

Lionel Ray, Matière de Nuit II —>

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