Colette Fournier, in Possibles, n° 20, mai 2017

Colette Fournier, deux proses
et un commentaire — la page “invitation ” de Possibles, n° 20, mai 2017

Je suis allée chercher

Portrait Colette Fournier

Je suis allée chercher un silence à tuer mes tympans. Ce fut difficile ; on croirait que c’est par leurs bouches que les gens regardent, qu’elles seules, fracassant de paroles le moindre espace, sont désormais capables d’appréhender le monde. J’ai cousu ma bouche de l’immobilité des fleurs sous un soleil parfaitement vertical. Une ligne de plomb soulignant l’équilibre de mon dos marchant au milieu des allées. Le silence coulait au-dedans de moi, fontaine sûre, régulière comme la respiration d’un nouveau-né. Il m’a semblé alors que mes yeux s’ouvraient à la fragilité des fleurs perçant à peine, au sillage du cours d’eau courant sous les palmes également muettes. C’est à l’intérieur de ce grand calme que je me suis mise à voyager.

Trop sage, je suis trop sage

Trop sage, je suis trop sage, sucrée, édulcorée, à peine taguée de saveur épicée. Trop de colères calmées dans mon sein, enfermées, de la passion cousue dans un jus d’herbes tendres, trop !
S’il me fallait descendre dans l’arène des fauves, avec mes griffes rabotées, ils ne feraient qu’une bouchée de ma chair potelée.
Trop douce, doucereuse, mousse de femme, femme crémeuse, du caractère amidonné dans de trop blanches sonorités, je ne sais pas crier, pas crier !
Trop suave, peut-être fade, une sapidité de violette hâve, un murmure couvert par le grondement des eaux, tiens, voilà mon cœur, il n’est pas gros, un petit pois, un petit point de trop !
Trop souple, un corps en lianes, fibres malléables, lierre tortueux ensevelissant de molle tiédeur la sévère rigueur de la vie.
Trop pressée de voir demain pointer son museau mouillé de neuves espérances, trempé d’une belle encre propre à essuyer mes bêtises.
Trop habitée de riens dissolvant leur venin qui te dit de bouger sans fin, bouche soumise au bavardage, écholalie des inepties, tais-toi un peu, tais-toi !
Dont acte.

Colette Fournier, Pages reprises du Livre des visages, les 15 mars et 1er avril 2017

[Mettre la souris sur ce] commentaire de Gilles Compagnon
Colette vous êtes une douce louve aux griffes “rabotées” qui se referment avant même de rayer la peau du cri qui se retient, un velours d’épines dans une main de roses. Et aucun des pollens de votre écrit-cri ne fait éternuer ; tout au contraire il guérit des brumes à venir… J’aime la sève sang de votre prose douleur-douceur ; elle coule tel un petit ruisseau bordé de fleurs sauvages qui se glisse sous nos épidermes pour mieux les tatouer à l’intérieur d’elles d’émotions subtiles et revigorantes ! Merci belle âme troublée tremblante, oiseau de printemps dans la trace des vents hostiles mais parfumés d’amour. [Le Livre des visages, 1er avril 2017]

Colette Fournier, écrivain, photographe, correctrice ès qualités pour l’édition, indispensable pour une auto-édition de qualité, également rédactrice et chroniqueuse, travaille à son compte sur la région lyonnaise, où elle tient un site d’une grande clarté. Elle fut la découverte du n° 10 de la présente revue. Elle a publié une dizaine de volumes de prose et de poésie. Le dernier en date, Amuse-bouches, rassemble cinq nouvelles. « Aucune raison, aucune logique ne prévaut dans cet emballement des sens et de l’esprit qu’est l’amour. » C’est dans ces ruées d’être, ces « gifles roboratives », qu’elle excelle et, par cinq fois, renouvelle sa matière. Ce talent neuf et accompli tout ensemble sert une véracité totale. Art du langage avec « des yeux bistrés » par exemple, de la situation, du portrait vif, de la scène, de la chute, sans oublier cet « art du non-dit et de la transparence », parfois comique, et encore moins celui de restituer à ravir les manifestations de la duplicité, dans le couple et jusque dans les mensonges qu’on se fait à soi-même, à tout âge, telles sont quelques-unes des qualités de Colette Fournier, nouvelliste. À chaque page, on s’émerveille. « Une vie sans lumière serait-elle l’équivalent d’une vie sans esprit » demande-t-elle ? Elle brille en tout cas et, pour qui la lit, la mémoire brûle d’envie de la lire encore. [Note de P. P., ce 23 avril 2017]

Note : Jean-Marie Kerwich, Le Livre errant —>

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