Jean Orizet, Possibles n° 20, mai 2017

Jean Orizet, La Tourterelle de Kom-ombo
Le contemporain pour ce numéro de mai 2017

Je sculpte un temps secret

Jean-Joseph Julaud, anthologie

Je sculpte un temps secret qui se nourrit de rêves
J’ausculte un sourd écho venu de l’au-delà.
Soumise à ces vaisseaux qu’un battement soulève
Ma vie, jour après jour, coule et ne coule pas.

J’invente un entretemps pour mieux saisir le monde
Revisiter l’histoire et l’archéologie
Appréhender l’espace et le temps dans la ronde
Où tel moment parfait quelquefois s’abolit.

Je parcours la planète en usant mes chimères
Et je deviens moins sûr de mes bonnes raisons.
Nos réserves d’humain sont comme l’atmosphère :
Elle se raréfient, guettées par des poisons.

Envoi – avril 2008

Jean-Joseph Julaud, La Poésie de Jean Orizet, Cherche Midi, 2017
Cette mise en ligne n’aurait pas pu se faire sans l’accord de l’auteur

La Tourterelle de Kom-ombo

«  Tandis que j’observais le cylindre du puits et la marche de l’escalier menant au bord inférieur de la margelle, je vis une tourterelle, très vive d’apparence, venir s’y poser. Soudain elle se coucha sur le côté, comme pour se rouler dans la poussière. Je la quittai des yeux un instant afin d’observer la découpe en clé de vie formée par l’orifice du puits et de l’escalier. Cette “clé de vie” était, pour les anciens égyptiens, un symbole de puissance et de fertilité. Mon attention revint sur la tourterelle dont l’immobilité me parut, d’un coup, suspecte. La vie semblait l’avoir quittée. J’eus peine à le croire et voulus vérifier. Je descendis les marches menant au puits et poussai l’oiseau du bout de ma chaussure : paupières closes, il était bel et bien mort. Sans doute avait-il épuisé son “espérance de vie”.
« Je ne pus m’empêcher de voir dans ce petit fait resté inaperçu de mes compagnons, un signe de ténuité face au poids des symboles massifs qui m’entouraient. Mais j’y relevai surtout l’ironie du sort qui m’avait fait assister, sur les rives du Nil, à cette mort emplumée, aussi discrète que pouvaient être arrogants et démonstratifs les rites pratiqués jadis par les prêtres de ce temple. L’ère chrétienne avait commencé, le pouvoir de Pharaon s’achevait, remplacé par celui des Grecs puis des Romains qui avaient mêlé leurs divinités à celles du peuple conquis. La tourterelle de Kom-Ombo était devenue, sous mes yeux, le cadavre minuscule d’un immense empire évanoui. » [La Poussière d’Adam, Cherche Midi, 1997]

Jean Orizet, Le Voyageur absent —>

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