François Laur in Possibles n° 24, septembre 2017

François Laur [1943-2016], deux poèmes
[L’invité de Possibles, n° 24, septembre 2017, pour le premier anniveraire de sa disparition]

Les coursiers qui me portent m’ont amené aussi loin que me poussait mon ardeur
Parménide cité par François Laur

Je ne compte plus que sur la beauté de ton chant

François LaurCe non-monde, ressassant d’être sans horizon, abhorre la tendresse : le sens n’y tremble plus dans le tempo dément ; ordre ordurier, temps de détresse, il se livre au vitriol, à la tenaille, au garrot, écorchant, matraquant, vomissant du venin en mots braillards, mots mirages amputés, encanaillés, assujettis, empuantis. La vie s’alarme : peut-elle se changer en s’ouvrant à la joie ?
Me défiant de la tristesse, j’ai mendié tes doigts de lin, le nid suspendu sous ta robe, le duvet de ton regard à l’heure où les ombres s’allongent. Tu as offert le baume de ta peau, tendu la pointe de tes seins à mes lèvres desséchées, noué à moi tes jambes de festin – ouvert combien d’arrière-pays !
Nous avons côtoyé la merveille ; le monde, tout soudain, ton chant sursoit à ses horreurs. Comme un poirier vibrant de ses fruits mûrs, « comme un nouveau ruisseau né d’une source neuve » au cœur même du désarroi, tu m’accordes un allègement, le désir d’exister encore.
Cette soif que, chaque jour, tu exauces relances par dessus règles et raisons me fait aimer cette journée : c’est avec toi qu’elle commence, ta voix qui sent cresson et romarin, ta voix qui conduit ma main, ta voix d’Iris rêvée dans la lumière.

François Laur, [son site].

Ce que je dois au froissement du thym

Les choses sont là et je suis à elles, absentes ou sous mes yeux. Ainsi je nais au chèvrefeuille en plein soleil, à l’escargot sous une acanthe un jour de pluie, au figuier dans la pénombre. Et dans les plis ombre et lumière jaillit comme un défaut, un manque ; l’air vibre, l’horizon, tout soudain, c’est l’absence de toi, de toi à l’instant si lointaine. Le sang cherche à régler son pouls, le paysage que tu enrobes se déploie, inflexions bombements buissons sillons rivière, les remuements du cœur dans les frissons du frêne, ciel lavé, large plage mouillée. Sans doute, le cosmos ne s’ordonne-t-il plus au tintement de l’angélus, mais le sillage de ton parfum comble mes mains du somptueux de tes reins, et mon regard de toi, dénudée yeux fermés. À vue perdue, la nuit esseule, tant que l’aube de ta chair ne luit pas comme, de temps à autre, aux confins de l’espace aimanté, le silencieux essaim de galaxies opales.
Alors, les mots éclosent à nos lèvres pour agréer le vivre, conjurer sa fêlure et dire ses baisers ; ses saveurs de miel de sel de houblon et de fraise, celle des algues fouet des sorcières ; ses sourires de fontaine, ses voyages d’encre ; sa précaire profusion.
Je reprends pied dans le réel.

François Laur, Carcassonne, 10-15 juin 2016

Peu après notre rencontre sur Le Livre des visages, François Laur m’écrivait le 24 août 2016 : « Le traitement du cancer m’ayant laissé quelque répit, je me suis autorisé à t’envoyer mon ouvrage La beauté gifle comme un grain. Tu en feras, bien entendu, ce que bon te semble, y compris, si tu le souhaites, le livrer à la critique des rats, comme disait Marx ! Bonne lecture, en tout cas. » Tout frais paru aux éd. Rafaël de Surtis, son recueil reçu le 26 août, je lui consacrais une note de lecture le jour même, pour laquelle il me remerçait le 27 à midi en terminant son courriel par une « bonne suite des jours », me laissant loin d’imaginer que le 5 septembre il nous aurait quittés. Il fut la “découverte” de Possibles, n° 13, octobre 2016. Un ami, lebAbel, lui offre cette Élégie surnuméraire.

Lecture de Le Sacrifice des dames, un chef-d’œuvre —>

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