Jean-Pierre Siméon, Possibles n° 27, en ligne, décembre 2017

Jean-Pierre Siméon
Le contemporain pour ce numéro de décembre 2017

Mais cette guerre en nous

Jean-Pierre Siméon

Mais cette guerre en nous toujours inachevée
quand on croise un mendiant
qui mendie plus que la moitié de lui-même,
hésitant entre les flaques du trottoir hésitant
entre mourir et jeter l’âme dans les flaques,
ce besoin qui vient de regarder en face
et d’aussitôt effacer le visage au miroir,
cette guerre comme un torrent charriant ses pierres
au cœur des chambres et de l’oubli,
dévastant le sommeil chaud du cœur,
cette guerre qui nous laisse,
mendiants à notre tour,
entre les objets de la misère, mains nues, front usé,
et la durée où se reprendre, le chant continu du monde,
cette guerre
– qu’on en soit fou ou la victime –
par quoi ne se peuvent rouiller ni l’aube
ni la mécanique des armes,
et par quoi sont gagnés nos journées,
nos sourires les plus doux,
cette guerre pourtant
comme un poing dans la gorge.

par la toilette des morts

Il faut donc en passer par la toilette des morts,
masquer la stupeur, laver le jour,
vêtir de frais la beauté aux mains closes.
Si quelque chose respire encore sous le drap,
quelque chose comme une voix blanche
frottée à l’huile d’un vieux rêve,
étouffe-le, étouffe-le,
et tourne-toi, jeunesse, vers les deux rives de la nuit.
D’une aube à l’autre passe le chant des morts,
mais ce sont là des ombres plus vieilles qu’un automne.
Il faut en passer par la toilette des morts
et partir, étranger, vers ceux-là qui questionnent.
Si tu n’entends pas leur langage,
laisse faire l’enfant qui te précède.
Nomme-toi
et va.

Jean-Pierre Siméon, deux poèmes extraits du Bois de hêtres, 1998
repris dans Lettre à la femme aimée au sujet de la mort, Poésie/Gallimard, 2017
Cette mise en ligne n’aurait pas pu se faire sans l’accord de l’auteur

Jean-Pierre Siméon, Partout dans cette joie —>

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