Lucien Wasselin par Pierre Perrin, Possibles n° 30, mars 2018

Pour Lucien Wasselin
Le contemporain de ce numéro, mars 2018, par Pierre Perrin

Dans la poésie qui se fabrique à ciel ouvert, quoique derrière un paravent, que voit le lecteur de fond ? À travers « l’affreux peigne à dents cassées du vers libre » incriminé dès Les Yeux d’Elsa, 1942, pavoisent force poètes des Danaïdes, du haut verbiage au rez-de-bavardage. La mode verse au procès-verbal, quand ce n’est pas au borborygme pisse-froid, au riquiqui-conceptuel, au licencieux des silencieux, autrement dit à la queue-leu-leu et la cucurbitacée ! Nonobstant ces tranchées hauturières, qui ne saluerait à genoux le dernier carré de lecteurs ?
Lucien Wasselin, né en 1945, vit dans le Nord de la France. Il a publié une douzaine de recueils et autant de livres d’artistes, cinq essais et des centaines d’articles et autres notes de lecture sur la poésie, la littérature générale, les arts plastiques, la musique – en discrétion. Les éditions L’herbe qui tremble ont rassemblé en un volume une douzaine d’articles qui, sous le titre Le Temps, la lumière éternelle, rendent un « hommage linéaire à Ilse et Pierre Garnier suivi de Saisseval les hortillonnages », un cent de nanopoèmes. Le courant du spatialisme volatilisé, ce volume célèbre une longue amitié.
Les trois recueils où puise le présent numéro se caractérisent par le choix de la prose. Le ton est celui de la note de journal, sans date ni froufrou. C’est du vécu à chaque page. On y devine un Wasselin des corons, syndiqué de long lignage. D’ailleurs ses essais célèbrent Aragon, Guillevic. Si l’encrage politique est aujourd’hui constrictor, la lecture de « l’engeance bipède » le dépasse, à mes yeux. Et puis il faut que la page des goulags se tourne, sauf à piétiner sa propre stupidité. C’est pourquoi j’ai plaisir à porter dans l’internité, si on me passe ce mot-valise, Lucien Wasselin peu encré sur la toile.
Au lecteur qui me juge léger quand le dit de Wasselin reste grave, je recommande un article de l’ami Jean-François Mathé, paru dans la revue Friches n° 112, en octobre 2012, à lire sur la page des éditions Rhubarbe présentant Poésie-Réalité. Il aide à comprendre l’absence de nostalgie, même pour l’ukase de Marcel Duchamp : « Le grand ennemi de l’art, c’est le bon goût ». Lucien Wasselin évoque, dans La Rage, ses abords, « la viande à bronzer qui n’a jamais lu vallès ni proudhon ». La suppression des majuscules aux noms propres, ainsi rabotés en noms communs, exprime un goût extrême de l’égalité entre les hommes. Mais la ponctuation demeure. Par ailleurs il « aime le silence » et convient que son « texte boîte un peu ». Il consigne « cette éternité dont je n’ai que faire, une gêne pour enfin mourir » juste après une séquence intitulée “Durer un peu”. Jean-François Mathé a encore raison de citer Wasselin « prométhée désabusé qui sait que rien n’est jamais acquis et que le ménage du monde est toujours à reprendre. la vie vaut la peine d’être vécue », avant de conclure : « il n’envisage pas d’être vaincu, pas plus que d’être en paix ».
Ces deux amis, Mathé que je lis depuis vingt ans, Wasselin depuis peu, me vont bien. La singularité de leur œuvre, la véracité de leur écriture satisfont la lecture.

Pierre Perrin, le 9 février 2018

Découverte : Dom Bergougnoux —>

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