Patrick Chemin, in Possibles, n° 30, mars 2018

Patrick Chemin, deux poèmes
[La page “invitation ” de Possibles, n° 30, mars 2018]

Je ne veux plus vivre dans la maison de verre

Foto © Maxime Godard

Je ne veux plus vivre dans la maison de verre. Je ne veux plus que chacun puisse observer mes faits et gestes. Je me retire derrière le lierre et la patience. J’invite à nouveau mes amis dans le jardin à la périphérie du bourg. Les sentes accompagnent le pas du marcheur. J’étais dans une cage où pour exister, il fallait tout montrer. Je garde mes amours, je garde mes secrets. Et basta ! C’en est assez de la modernité transparente et de la confusion des genres. J’ai été convié à un étrange mariage. J’étais parmi les premiers invités. Quand je suis arrivé, le portier m’a reconnu. « C’est bien vous qui écrivez sur… ». Non, ce n’est plus moi. Je ne connais pas cet homme qui franchit la porte des âmes jointes. Non, ce n’est pas moi, celui qui est dans l’angle mort des caméras de surveillance. J’ai été invité à une noce étrange. La mariée était âgée. Le marié était antique. La mariée portait des fleurs et jouait à envoyer des texto à ceux qui étaient à l’autre bout de la table. Le marié portait redingote et une canne à pommeau. Un nain gracieux parcourait les allées proférant les nouvelles du jour dans un anglais très pur. J’annule ma souscription au jour de la résurrection littéraire. Je veux bien demeurer inconnu si je peux garder la plus stricte intimité. Je vis dans l’arbre désormais avec les écureuils insouciants et une femme qui est là depuis toujours. J’ai quitté la ville. Après deux heures de route s’ouvre la possibilité latérale de la candeur. Ne m’attendez pas pour publier dans le grand cercle parano et narcissisant. On ne peut pas vendre son écriture et son âme dans le même temps. Je garde l’amour qui est beau et fragile comme un iris. Je ne lui demande rien d’autre que d’être le mythe silencieux du bonheur.

© Patrick Chemin, Le Livre des visages, 14 janvier 2018

Les médicaments sont tellement forts

Les médicaments sont tellement forts que je vois double quand je trace les lettres sur le papier. Ma mère m’envoie une lettre où elle me conseille d’être bien sage et d’écouter attentivement ce que disent les médecins. Oui, je suis tombé dans la déraison et le tourment. Par amour. Là où nous tombons tous un jour rejouant un rôle déterminé par un abandon plus ancien. Le jardin à la française me fait penser à un décor où pourraient se donner rendez-vous les protagonistes d’un duel. Les fous vont çà et là comme des phalènes. Les âmes portent une lumière qui transparaît parfois. Cierge ardent et corrompu par la pharmacopée. Je suis l’un d’entre eux. Je ne vaux guère. J’étais célèbre autrefois. On portait mes bagages devant l’entrée des loges. Il y avait cette femme, Léa, qui disait « Patrick, à chaque fois que tu dis un texte, tu le dis comme si c’était la dernière fois ». J’étais un montreur d’ours. Je montrais mon intérieur. Le vent traversait mon âme de verre. Maintenant, je suis un vieil homme et ne fréquente plus les palais vespéraux. Je n’ai plus vraiment les moyens de tomber. Oui, je vous le promets, je vais remonter dans le phare. Naufrageur, naufragé. J’attends le ressac dans la ferveur des élégies. Mon dernier jour débute sa procession bien loin d’ici.

© Patrick Chemin, Le Livre des visages, 3 décembre 2017

Le Frais Regard, éventuellement —>

Patrick Chemin a publié, principalement de la poésie. Mais il a aussi écrit pour le théâtre et travaillé avec de nombreux peintres et photographes. Il tient un site, où lire d’autres poèmes, que vous aurez à cœur de découvrir.

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