Alain Hoareau, Possibles n° 50, novembre 2019

Alain Hoareau, Le Jour opéra
Poème en cinq actes, L’Harmattan, 2019, 76 pages, 11,50 €

Alain Hoareau

Le Jour opéra constitue le cinquième recueil que publie Alain Hoareau, né en 1961. Le premier s’intitulait Quatre saisons plus une. Il a paru en 2016, voilà seulement quatre ans. Ce serait aller vite en besogne que d’affirmer un attrait certain pour le quintette de la part d’Alain Hoareau, par ailleurs professeur de guitare au conservatoire des Landes. Si l’opéra se réduit au texte ici, un texte d’amour entre dièse et bémol, la riche prosodie en assure la musique.
L’acte I forme un prélude pour signifier que les amants vont se trouver, se retrouver vers « le kiosque à baisers ». Alain Hoareau chante l’existence. « La vie ouvre la voix, il faut l’entendre et nous crions à nous surprendre : les roses dansent en ribambelles, et le jet d’eau n’est pas pour elles, quand l’escalier ouvre la marche, c’est le balcon de l’orphéon. » Le dernier vers annonce : « Nous remontons la rue à la lumière ».
L’acte II célèbre des sortes de retrouvailles. « Ils sont corps jetés / bras serrés / sur un quai de gare étonné. » De beaux versets disent la ville, « l’ivresse à pleine bouche » quand le passant croise « une étoile curieuse qui cultive le vivre comme un champ au soleil ». Une « dame au chapeau noir » coiffe le poème en ses cinq actes, coiffe le recueil entier si je lis sans perdre le chemin. Tout est discrétion chez Alain Hoareau. Le crucial peut-il se deviner autrement qu’entre des ombres ? En tout cas, son vers s’allège. Le chant fait place à la chanson. « Est-ce les lieux qu’on a aimés, ou d’y avoir si bien aimé ? / Il y a toujours à revenir lorsque les pas l’ont décidé. » On croise un souffle de Mai chez Apollinaire. « Le beau ! Le joli drap ! » Le clin d’œil passé, la confidence finale se fait grave. « Tu es venue au familier porter ta voix à mes silences / comme on habite la mémoire des chambres vides aux jours d’absences ».
L’acte III exulte. « J’ai quelques bonheurs à te dire. » Une chanson fait même écho à Éluard. « Les mots sont faits pour être heureux. » Comment mieux suggérer le bonheur qu’Alain Hoareau parvient pleinement à communiquer ? « Nous faisons liesse de toute note / de la plus grave à l’enfantine / reprennent rire et puis nous bercent ». Le tempo s’accélère. Où donc veut-il nous conduire ? Vers le beau « métier de vivre », en nous glissant le beau titre du journal de Pavèse dans l’oreille ?
L’acte IV élève l’amour en asymptote. Cette chose vers laquelle on tend sans parvenir à l’atteindre ne désignerait-elle pas l’âme de l’amour pareille à l’anche d’un hautbois ? C’est encore ce que suggérait René Char, dans sa Lettera amorosa. « Que puis-je te laisser d’autre / que le don de te connaître ? » Les corps s’invitent sans un mot. Ils n’en éprouvent nul besoin. La connivence est à l’ouvrage mieux que les doigts d’une dentellière. « Les yeux vivent aussi de silences gourmands. » Et cet aveu, qui clôt l’acte, est splendide : « — Je te dois de pouvoir dire : j’ai vécu ce que mes yeux d’enfant soupçonnaient d’importance. — Est-ce vraiment tout cela ? — Je te dois d’espérer vivre ce que j’ignore encore. — Mais que peux-tu ignorer encore ? — Tout. Chaque seconde est nouvelle. »
Le dernier acte tire vers la mort, comme il se doit. Du moins le poète envisage le « passer de chair à mémoire / de mémoire à l’oubli, comme le vent file entre les doigts / l’oubli lui-même s’effacera […] Le dernier souffle sera toujours celui de l’autre / le dernier mot celui qu’on entendra ». Par-delà cette prosodie que le lecteur entend distinctement à travers ces extraits, Alain Hoareau réussit à tenir le pari de la formule si juste de Léos Janacek qu’il a inscrite en exergue de ce Jour opéra. « L’essentiel dans une œuvre dramatique est de créer une mélodie du parler, derrière laquelle apparaisse comme par miracle un être humain dans un instant concret de sa vie. » Ce pari est ici tenu pour notre grand plaisir.

Pierre Perrin, recueil lu le 26 octobre 2019


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Alain Hoareau est un poète parmi les grands car il est du petit nombre de ceux qui atteignent à la simplicité. Son goût pour l’écriture, la photographie, la composition, le mène à tisser des liens entre les arts. Il signe ici son cinquième recueil aux éditions l’Harmattan. La couverture ainsi que la référence de l’ouvrage peuvent être consultés à cette adresse.

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