Durs Grünbein, Possibles n° 50, novembre 2019

Durs Grünbein, Presque un chant
Le contemporain de ce numéro de novembre 2019

Mercredi noir

Quand tu fus si triste, j’aperçus pour la première fois dans ton dos
Le banc de l’école, vide, le lit d’enfant fracassé à coups de hache.
Ce fut alors seulement que, flottant dans tes yeux, je vis la nudité
Dont chaque moment présent nous entoure. La fragilité, les interstices
De jour en jour se remplissaient, devenant des canaux glacés.
Aussi lointaine que l’Islande, il y avait la prairie matinale sous la gelée blanche
Que l’on traversait pieds nus, en ignorant tout des abattoirs.
Il était inimaginable qu’un jour on livrerait vaches et moutons à la chaîne d’abattage,
Qu’on aurait honte d’une écharpe tricotée à la main.
Des joies frivoles venaient, alors que la plus grande peut-être avait disparu.
La vieille chanson – les semelles durcissent au soleil.
On erre, on se perd, on ressent partout le manque.
Sur le chemin du retour chez nous, ce noir mercredi-là
Où tu étais triste à mourir, je n’ai pas su te consoler.

Durs Grünbein, Presque un chant, [repris de La nuit figurée, 2002]
poèmes choisis par l’auteur, traduits de l’Allemand par Jean-Yves Masson et Fedora Wesseler
éditions Gallimard, collection « Du monde entier », 2019, 240 pages, 23€


Durs Grünbein, Dans le Fjord —>

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