Julie Ladret in Possibles n° 50, novembre 2019

Julie Ladret
La “découverte” de Possibles, n° 50, novembre 2019

Quelque chose s’est brisé

Julie Ladret

Quelque chose s’est brisé en moi.
Je ne sais pas quoi mais je connais précisément l’instant.
Je sens le goût du métal s’exhaler à mesure que sèchent mes larmes.
Celui du sang écoulé dans un temps bien trop long pour souffrir vraiment.
Un goutte à goutte, une mer hémorragie.
Si j’écris ce n’est pas pour survivre, on ne peut vivre d’encre dans les veines aussi palpitante soit-elle.
Si je t’aime ce n’est pas pour survivre, on ne peut vivre d’amour aussi puissant soit-il.
La vie ne tient à rien, ni à un fil, ni à personne.
Je me remplis d’encre et d’amour et je m’évide comme un sablier.
Je vis chaque seconde la perte du restant.
Je n’écris pas parce que j’en éprouve l’envie ou le besoin.
J’écris parce que je vais mourir.
Si ce n’est moi,
C’est quelque chose en moi qui m’est essentiel.
J’écris seulement pour laisser une trace de cette chose suffocante dont je ne connais ni la teneur ni l’espèce.
Elle sera morte quand ma poésie me sera inconnue, propre à être distillée dans l’alambic de mots.
Mais je ne ressens aucune peine, aucune peur pour cette perte car je connais plus grande peine, plus grande peur encore.
Quelques chose s’est brisé en moi comme ça, d’un coup sec, promptement, m’offrant au vide de mes restes.
Il me suffira d’en vivre
Il me suffira.

Julie Ladret, Le Livre des visages, 14 octobre 2018


Hier : Pierrette Epsztein, trois extraits —>

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