Alain Nouvel, in Possibles, n° 50, novembre 2019

Alain Nouvel, Anton, extrait
La page “invitation ” de Possibles, n° 50, novembre 2019

Alain Nouvel

Un arbre m’appelait. Je l’avais remarqué, l’avant-veille, lors de ma randonnée, il m’avait intrigué. C’était un hêtre, il vivait haut, presque au sommet.
Je suis monté pour le revoir et j’ai marché longtemps, je me suis élevé jusqu’à lui. La neige avait fondu. Il faisait presque chaud. Quand je suis arrivé à proximité, ce n’était plus un
arbre seulement. Il frémissait. Une brise passait peut-être entre ses branches, il me soufflait un nom qui pouvait, à la fois, ressembler à « Aimée », s’en éloigner, un nom qui ne s’épelait pas mais souriait dans le silence. Le nom de Celle qui chantait. Un nom de vent.
Je me suis approché. Mon cœur battait, je me sentais tout désirant. Le sol penchait. La déclivité étant forte je me suis laissé aller à ce penchant, je me suis blotti contre lui. Il m’approchait, autant et plus que moi de lui ; pourtant, il était puissamment enraciné. Je ne sais plus très bien si c’était elle ou lui qui devenait humain, si c’était moi qui devenais une arbre. Nous nous dénaturions, quelque chose nous rapprochait, bien au-delà de nos règnes et de nos espèces, de nos genres et de leurs instincts. Nous nous unissions dans la complexité, dans la complicité vivante. Son écorce de hêtre était une peau, accueillante, je la touchais, la caressais ; je l’étreignais. Il m’érigeait, il m’apprenait à m’ériger comme lui, tout en découvrant ma façon animale de faire et d’exister. Nous nous réconcilions. Je l’étreignais, sa force à elle, à lui, prenait la mienne, l’accueillait. J’étais devenu sexe tout entier et me fondais à elle, à lui, du haut en bas. Nous nous accouplions ainsi, lui et moi, verticaux, érigés, désirants, jouissants. Et j’entendais la joie que c’est que d’être écorce, ma peau durcissait tout entière. L’arbre effaçait Aimée de moi.
L’orgasme, en s’approchant, m’ouvrait à l’arbre, à sa tiédeur, à l’autre humanité silencieuse du bois. Mon sang devenait sève. Nous bourgeonnions ensemble, sa végétalité m’ouvrait à l’infini, je découvrais un orgasme absolu, cet abandon à tout, cette mort à moi-même. Une femme en moi s’éveillait, cette « Belle au moi dormant » que j’étreignais en même temps. Mon corps se dissolvait, s’ouvrait à un au-delà ; quelque chose d’autre advenait, ni végétal, ni animal ni même humain, un composé des trois.
Et puis… Quelque chose de vert s’échappait de moi, qui plongeait et plongeait, très lent, très long et très profond. Je comprenais l’intelligence végétale et c’était lent, très lent, bien plus lent que mon cœur, qui battait. Je m’étais uni avec la forêt, la terre tout entière. J’avais contact avec la communauté des racines, je me reliais à leurs réseaux et c’était un autre univers qui s’ouvrait. Une musique montait, depuis ma gorge, et disait « Oui ! »

Alain Nouvel, Anton, La Chimère, 104 pages, 16 €


Alain Hoareau, Le Jour opéra lu par P. P. —>

Le lecteur curieux trouvera une brève note de lecture au sujet du récit Anton. La parution en était annoncée dès le numéro 39 de décembre 2018 de Possibles.

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