Claire Fourier, Possibles n° 23, août 2017

Claire Fourier, Pour que vive l’édition

Claire FourierL’édition est à la peine partout. Le papier est à la peine. Les grosses maisons ne sont pas épargnées ; elles se sont tiré une balle dans le pied et, servies par les médias, ont tiré une balle dans le pied des plus petites en tirant la qualité vers le bas au nom de la trésorerie et en offrant aux libraires des remises proportionnelles à leurs commandes (ce qu’un petit éditeur ne peut se permettre). Aujourd’hui le serpent se mord la queue puisque les lecteurs de livres faciles préfèrent leur smartphone et que la liseuse est moins encombrante que les pavés romanesques. Plus rien ne marche bien en librairie où le travail devient affaire de manutention : arrivées, retours.
Les gros éditeurs ont cru trouver une parade : les salons ; ils y sont présents en force, ayant de quoi payer leur quote-part dans la logistique. Et ils ont fait des envieux : quel village aujourd’hui n’a pas son Salon du livre ? Subventions locales, régionales, etc., y passent, et l’éditeur doit là aussi mettre la main à la poche, difficile pour les petites structures. Cette méthode n’était pas dans la culture des Éditions de la Différence. – Méthode qui du reste tend à s’exténuer : Il faut avoir fréquenté ces salons pour en mesurer l’horreur et mesurer combien l’auteur y devient le voyageur de commerce de ses livres. Si peu que j’y aille, je m’y sens comme une Lola Montès et me suis juré, par exemple, de ne plus jamais aller jouer l’animal de foire à Brive.
Mettons que j’exagère un peu, des lecteurs sont heureux de découvrir le travail d’un écrivain et d’échanger trois mots avec lui. Ces moments au contact des lecteurs sont bien les seuls qui vaillent dans ces petits ou grands circus. Il faudrait être sur place d’un coup de baguette magique ! Car supporter train des auteurs, navettes pour trimballer le petit monde dans les hôtels, barrières pour réguler les files d’attente des signatures de vedettes de la télé, auteurs qui bonimentent plus que des vendeurs de cravates, cafés littéraires inaudibles dans le brouhaha, soirées festives en l’honneur des invités, etc. Pour ma part, je suis prise d’angoisse, dois surmonter la honte des auteurs obligés de faire l’article ; cela me paraît incompatible avec le respect du travail de l’écrivain. Stop. Trop à dire.
Je crois que l’avenir du livre de qualité est aux toutes petites structures. Seules elles ont la liberté. Mais encore faut-il que le lecteur soit informé des parutions (c’est un des intérêts du Livre des visages). Personnellement je n’achète plus guère de livre placé en pile sur la table d’une librairie. Un sujet ou une note happent mon attention, je repère des titres ici et là, il y a des blogs inspirés et honnêtes, il y a le Salon des éditeurs indépendants à l’Espace des Blancs-manteaux (d’où je reviens mon sac plein), il y a quelques librairies qui s’évertuent à faire du bon travail (je galope pour acheter chez elles) et je commande chez mon libraire de quartier. (J’emprunte les ouvrages anciens à la Réserve centrale des BM). Je suis obligée, je le déplore, de devoir la plupart du temps commander les livres dont j’ai besoin. Stop.

Claire Fourier, Le Livre des visages, 8 juillet 2017
Cette mise en ligne n’aurait pas pu se faire sans l’accord de l’auteur

Claire Fourrier a publié, entre autres, trois livres dont je rends compte à cette adresse, chez Actes Sud et à La Différence.

Découverte : Constance Hesse-Asplanato —>

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