Jean Malrieu, Possibles n° 23, août 2017

Jean Malrieu, Nuit d’herbe
Le contemporain pour ce numéro d’août 2017

Le signalement de la beauté est inconnu. Jean Malrieu, Hectares de soleil, 1971

Nuit d’herbe, nuit mise à nu, nuit d’ignorance, nuit de refus,
Je gémis. La barque à l’ancre se soulève. Le dernier flot de la marée accourt.
Ne crains rien des douleurs de l’amour. Les oiseaux dorment. Le vent ne sait où se poser. Il se repose.
Et sans maître habité par la nuit, je suis aussi ce bateau fou.
Beau temps, n’est-ce pas, timonier ?
Beau temps de minuit, beau temps de l’amour.
Les câbles et cabestans grincent. C’est le désir. Des vagues s’épousent. Le port est au bout du monde, tes hanches, tes seins, je ne sais.
Je gémis de toute plainte pour tous les hommes. Je psalmodie, je crie, je murmure, je me tais.
Je n’ai rien dit, je n’ai rien fait.
Car tes cheveux comme les forêts brûlent avec ton odeur de fruits lointains,
Car te répondent le sang lourd de la lente race terrienne, mes mains d’artisan, ma langue rude.
Farouche, depuis que je te connais, je fais l’amour. Je connais toutes les heures de la nuit. Le ciel s’incline. Mourir n’est rien. Vivre n’est plus. Je n’ai qu’une histoire, une violente patience.
L’oubli s’assied sur la montagne et nous avons le temps.
Beau temps, n’est-ce pas, mégissier ? Le temps d’attendre l’amour. La barque soulevée, la marée se retire. Le vent oublie qu’il est le vent. Tes lèvres sont le bout du monde.
Dans bien longtemps
Tu m’étouffais, tu m’as rejoint, je te retrouve.
Homme et femme nous serons morts.
Mais les astres qui nous ressemblent recommencent.

Jean Malrieu, , Préface à l’amour, 1953

Jean Malrieu, J’ai perdu mes jours —>

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