Michel Merlen, Possibles, n° 23, août 2017

Michel Merlen,
[Hier : Possibles n° 21, 4ème trimestre 1979

Je me trouve devant le 17

Possibles 21Je me trouve devant le 17 de cette avenue : j’ai rendez-vous. Je pénètre dans l’immeuble et salue la concierge en robe de velours noir un verre de cristal brille dans sa main c’est au premier étage me dit-elle.

Je pose ma main sur la rampe : j’ai tout mon temps. Vous verrez me dit-il et je ne voyais rien, vous verrez ce sera facile. Facile. Une aiguille tourne sur un cadran lumineux jamais dans le même sens. Sans doute. Aucun.

Dans le métro les voyageurs souriaient du même sourire juste au-dessus de leurs journaux : ils se retrouvent et partent dans une direction multipliée par le hasard. Au contraire des vagues ils refont le silence.

Sous les platanes des hommes chantent en marchant je les regarde de profil leur voix ne me parvient pas. Les arbres foncent à vue d’œil pas l’ombre d’une dispute. Voitures glissent sur le chaussée jonchées.

Tu es là : le sable s’abandonne ou résiste-t-il au soleil ? tu es là, pâle, ma question accrochée à la gorge avec tes seins nus prêts à l’incendie.

Je crois voir une meute de jeunes cerfs poursuivis par une locataire en fureur. Quand tu approches notre lit j’ai l’impression de venir au monde : je grandis en quelques secondes nous parcourons l’univers où il n’y a pas d’endroit et pas d’envers.

Les oliviers palpitent de joie. Plus tard nos enfants y grimperont.

Michel Merlen, Les Rues de la mer, SGDP [collection Poètes contemporains], 1972

Michel Merlen, né en 1940, vient de décéder le 30 juin. Je lui avais consacré 64 pages sur 72 du Possibles papier n° 21, 4ème trimestre 1979. Celui-ci donnait à lire Quittance du vivre. |Le poète de 39 ans y posait, entres autres, cette question, page 46 : « Tout de même il doit y avoir autre chose que la souffrance », sans point d’interrogation. Je viens de retrouver quelques exemplaires alors invendus. Peu importe. Qu’il repose en paix. « La poésie de Merlen offre une tension extrême de tout l’être hors de lui-même vers sa vérité, qui nous arrache enfin des cris terribles et magnifiques qui étonnent les oreilles, si sourdes depuis le temps ; des cris qui renversent, des cris qui brisent les vitres et les portes toujours fermées des maisons vides ; des cris qui peuvent bien s’exténuer et se ruiner, mais dont il reste toujours assez d’éclats dans l’air pour que nous nous entendions au moins une fois aimer et vivre, pour que nous entendions ces cris qui ne nous appartiennent plus dès qu’ils ont quitté nos lèvres, qui ne sont plus à personne parce qu’ils sont ceux de l’homme dans la solitude et dans l’amour. » C’est un extrait de la préface que Christophe Dauphin a consacrée à un ultime volume de 2012, écrit et publié en collaboration avec Katrine Mafaraud.

Poète invitée: André Campos Rodriguez —>

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