Constance Hesse-Asplanato in Possibles n° 23, août 2017

Constance Hesse-Asplanato
La “découverte” de Possibles, n° 23, août 2017

Je ne déteste pas

Constance Hesse-AsplanatoJe ne déteste pas la chaleur et l’image des lieux desséchés, tant s’en faut, je l’aime comme une soudaine violence qui prouve son existence, son pouvoir de tout transformer, de tout soumettre à sa loi. J’aime dans ma ville, Marseille, l’assèchement solaire et brutal qui ferme les boutiques et nous envoie par-delà la Méditerranée. J’ai aimé, quand mes vacances étaient exclusivement Marseille-ma-ville, parce que je travaillais fort loin d’elle et que je passais l’été au creux de son creuset, j’ai aimé donc, ces pics de l’été épuisant où je me croyais soudain dans une ville d’Afrique, devant la désertion de la population un peu aisée, devant les magasins fermés, et le ravitaillement dans les environs où j’habite, plein centre, qui ne passait que par les lieux ralentis et colorés, aux denrées déversées jusqu’aux trottoirs, où on parle peu le français, mais où je ne me suis jamais sentie désaimée – à prendre des saveurs davantage que des produits, à ramener les couleurs, les accents, à cuisiner, à rêver, à goûter comme je goûte l’été. Les nuits sans fin et intenses où on entend des palabres de partout qui assaillaient ma terrasse alors aimée. Les échos de la nuit musicale et vibrante. Les nuits sans dormir à rêver de vivre, à l’écrire, à le sentir. Les retours du marché sans m’être encore couchée, pour prendre encore “à la fraîche” ce qui se déballe à peine. Le soleil qui se lève et la couleur déjà qui tremble – c’est la chaleur qui monte. Les fruits dégustés à peine sortis du panier joli, fleuri (forcément, autant joindre l’amour à l’amour…) avec le premier café. Il était très tôt, l’appartement plein ouvert avait un peu fraîchi, et j’allais dormir un peu avant que la journée se lève entièrement au ciel.

Écrire

Écrire est pour moi est aussi intéressant que la nuance précise d’un brin de paille dans l’une des meules d’un champ immense. Écrire, c’est pour moi comme aimer, c’est remplir les blancs de l’autre en soi-même, à l’intérieur de cette abside du cœur qu’est le recueillement, ou le sentiment. C’est donner de la présence à « l’absent en soi », l’absent tel qu’en lui-même ou bien on le rêve ainsi, d’être au plus près de l’autre, l’aimé, le destinataire, le lecteur, l’autre quel qu’il soit et tel qu’il soit. Le paradoxal dialogue dans l’absence. C’est donner toute la place à l’intérieur de soi pour quelque chose qui est au-delà de soi. Parfois parler pour faire silence, comme on se recueille. Parfois pour arracher au silence on ne sait quoi, un sourire ou une grimace, un poème ou un fragment, une phrase, un instant de mise en contact, et tant d’autres choses ou si peu. Être en jeu. Ne pas s’être retiré, ne pas avoir été retiré, pouvoir venir. À certains moments de ma vie, j’ai eu et j’ai rendez-vous avec l’écriture, parfois j’ai eu rendez-vous avec un roman, et c’était de cet ordre-là, comme s’il était impossible de résister à ces heures de rencontre et de fusion, une force d’appel, un champ magnétique. J’ai passé aussi des années à détruire immédiatement et simultanément tout ce que j’écrivais, détruire-écrire en synchronie, parce que cet acte-ci, tout personnel, était une protestation, un témoignage, un acte, et je gardais, je possède toujours en partie, les magmas de la destruction, devenue plastique, devenue un geste.

Constance Hesse-Asplanato, [courriel du 26 septembre 2016]

Hier : Michel Merlen, Les Rues de la mer —>

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