L’émotivisme selon Christophe Dauphin expliqué aux e-nuls, dans Possibles, revue de poésie en ligne, n° 2, novembre 2015

L’émotivisme expliqué aux e-nuls
Possibles, revue de poésie n° 2, nouvelle série en ligne, novembre 2015

couv. Appel aux riverainsÉcrire, « c’est vouloir se fouiller, plaider pour soi-même, rencontrer autrui au plus profond, donc communiquer, dénoncer aussi les aliénations, promouvoir en rêve des gestes qui deviendront un jour des actes. L’émotivisme est une attitude devant la vie, une conception du vivre qui ne saurait être détachée de l’existence du poète, car la création est un mouvement de l’intérieur à l’extérieur et non pas de l’extérieur sur la façade. L’émotivisme est un art de vivre et de penser en poésie. »

« Nous parlons bien sûr d’une poésie qui se soucie fort peu des déviations qui ont pour nom recherche esthétisante, logorrhée langagière et autres, ou de celles qu’un monde, rendu moins sensible par l’usage systématique de sentiments réduits à des figures de style, lui a imposées envers et contre tous ceux pour qui la poésie est un enjeu fondamental. À travers l’émotivisme, nous actualisons, développons et augmentons de nos propres acquis les actions de nos aînés. »

« Tout ce qui est vivant doit se renouveler pour continuer à vivre. Tout ce qui ne se renouvelle pas meurt. C’est cela une filiation poétique et non un respect de décrets et de mots d’ordre qui, d’ailleurs, n’existent pas. La poésie émotiviste – qui est la création, par une œuvre esthétique (grâce à une certaine association de mots, de couleurs ou de formes, qui se fixent et assument une réalité incomparable à toute autre), d’une émotion particulière que les choses de la nature ne sont pas en mesure de provoquer en l’homme –, ne peut que rejoindre la création de Pierre Reverdy, pour qui, la poésie n’est pas dans les choses, mais uniquement dans l’homme ; et c’est ce dernier qui en charge les choses, en s’en servant pour s’exprimer ».

« Ce qui est, ce n’est pas ce corps obscur, timide et méprisé, que vous heurtez distraitement sur le trottoir – celui-là passera comme le reste – mais ces poèmes, en dehors de la forme du livre, ces cristaux déposés après l’effervescent contact de l’esprit avec la réalité. […] Comment le contact se fait-il ? C’est grâce à l’image que le poète parvient à fixer les rapports qui relient les choses à l’esprit, le concret au sentiment, la matière au rêve, et à atteindre ainsi une réalité complète qui est le réel absolu. L’image est la combinatrice des mots, comme Reverdy l’écrit, dans Le Gant de crin […] L’image (la “douce nuit qui marche”, par exemple) tend à l’énonciation d’une réalité plus vraie que le réel sensible, parce qu’elle contient aussi la réalité spirituelle ou onirique. […] L’image atteint sa perfection quand elle n’est plus du tout une « image » au sens ordinaire du mot (une copie, un reflet), mais quand elle pose une « réalité » nouvelle. Il ne faudrait plus parler d’image, d’ailleurs, mais peut-être bien davantage de vision. »

Christophe Dauphin, in Appel aux riverains, anthologie de 204 poètes, 502 pages, les HSE éditeurs, 2013
Ces fragments choisis [pages 51 à 54] par P. P. ne l’auraient pas été sans l’accord du poète et de l’éditeur.

Présentation des Hommes sans Épaules n° 40 —>

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